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Le premier âge d'or musical
Blanche-Neige et les sept nains, Pinocchio et Bambi

L'âge d'or des studios Disney porte bien son nom. Il correspond, musicalement, à une époque fastueuse de la musique de film. Accompagnant les débuts du cinéma parlant, la bande sonore musicale répondait à un idéal d'opulence et de lyrisme. Chez Disney, trois films furent tout particulièrement portés par ce style généreux et symphonique : Blanche-Neige et les sept nains (1937), Pinocchio (1940) et Bambi (1942).

La musique, un acteur majeur

Dans l'esprit de Disney, la musique devait faire respirer et rebondir l'action musicale tout en ajoutant au film du rythme, du sentiment et de l'attrait. Il ne faut pas oublier que l'influence du cinéma muet, encore récent, demeurait prégnante (le Chanteur de jazz, considéré comme le premier film parlant, ne sortit que dix ans avant Blanche-Neige et les sept nains). Dans le cinéma muet, c'était à la musique de porter l'action et de lui insuffler l'énergie dont l'absence de parole risquait de la priver. Elle était improvisée au piano pendant la diffusion du film ou composée sur mesure et interprétée en direct, dans la salle de projection. Bien avant que le genre ne gagne ses lettres de noblesse, de grands compositeurs s'y étaient essayés, dès 1908 (Saint-Saëns, L'assassinat du duc de Guise, Le Bargy et Calmette). Satie, Schmitt, Honegger, Prokofiev lui emboîtèrent le pas.

La période 1935-1945 fut fastueuse pour l'art si ingrat et périlleux de la musique de film. Aux côtés de gloires confirmées comme Alfred Newman, Dimitri Tiomkin, Eric Wolfgang Korngold, Franck Lloyd, Herbert Stohart, Harold Arlen, de nouveaux noms apparaissaient : Bernard Hermann, Miklos Rozsa, Franz Waxman et David Raksin. Cette époque fut dominée par la suprématie de Max Steiner, élève de Gustav Mahler, qui s'illustra notamment avec la sublime partition d'Autant en emporte le vent en 1939. Dans de nombreuses productions hollywoodiennes de cette époque, la musique était presque incessante, accompagnant chaque instant de la narration, parfois au risque de l'étouffer.

La musique était aussi très utile au dessin animé, pour pallier l'absence de présence physique d'acteurs à l'écran, en conférant une chaleur humaine par l'entremise de chansons. On notera que, dans Blanche-Neige et les sept nains, la succession des chansons est parfois ininterrompue (I'm Wishing, Je souhaite, s'enchaîne avec One song, Un chant ; juste après Whistle While You Work, Sifflez en travaillant, les sept nains commencent à chanter dans la mine et continuent en rentrant chez eux Heigh-Ho). Les chansons cimentent solidement l'action, mais la densité de leur succession ne sera jamais égalée par la suite, probablement parce que le pari du long métrage animé, dont Blanche-Neige et les sept nains constituait une audacieuse première, avait été relevé. Dans Bambi également, la musique est presque continue ; cette fois, c'est notamment à cause de la rareté des dialogues. Les deux seuls silences de ce film prennent donc une dimension particulièrement sensible : la première intrusion de l'homme dans la forêt (un interminable moments de 18 secondes) et la mort de la mère de Bambi. D'une manière générale, l'utilisation de chansons permettait aussi (et l'expérience avait été démontrée dès 1933 avec les Trois petits cochons et son tube Who's afraid of the big bad Wolf, Qui craint le grand méchant loup ?) de mieux conquérir le public et son imaginaire, tout en gagnant en notoriété.

Une équipe gagnante

Les trois longs métrages animés qui nous occupent ici ont été mis en musique par une équipe relativement restreinte de professionnels aguerris, disposant d'une solide formation musicale. Dans Blanche-Neige et les sept nains, on trouve Franck Churchill, le moins savant de tous mais non pas le moins efficace ; il fut l'homme du « tube » des Trois petits cochons. On note également la présence de Leigh Harline et Paul J. Smith ; les deux derniers se retrouvent dans Pinocchio, tandis que Bambi réunit Franck Churchill et Edward H. Plumb. Charles Wolcott et Paul J. Smith se sont partagé les orchestrations de Bambi, très raffinées, tandis que les arrangements vocaux de ce film, fort élaborés, furent l'oeuvre de Charles Henderson. Toute cette équipe sera pratiquement dissoute après la guerre ; Larry Morrey, portant également une casquette d'assistant réalisateur, participera au Dragon récalcitrant en 1941 ; Edward H. Plumb s'illustrera dans les films Saludos Amigos (1942) et Les Trois Caballeros (1944). Leigh Harline, qui avait brillé dans la somptueuse partition du court métrage Le Vieux moulin (1937), se tournera vers la télévision (avec la série Gunsmoke en 1955) et le cinéma (Chérie, je me sens rajeunir, Hawks, 1952). Paul J. Smith, qui était l'un des violons de Fantasia, restera fidèle à Disney et participera notamment à Melody Cocktail (1948), Cendrillon (1950) et 20 000 lieues sous les mers (1954). Charles Wolcott, après une participation à Saludos Amigos, Les Trois Caballeros et La Boîte à musique (1946), se tournera vers le cinéma (La Chatte sur un toit brûlant, Kazan, 1958). Précisons en outre que Larry Morey a écrit les paroles de Blanche-Neige et les sept nains et de Bambi ; Ned Washington celles de Pinocchio.

Tous les musiciens qui travaillaient pour l'industrie cinématographique avaient une solide culture musicale. Certains n'hésitaient pas à faire quelques emprunts au répertoire classique, ainsi Max Steiner mentionnant, presque littéralement, Tristan et Iseult ou Tannhaüser de Wagner dans Autant en emporte le vent. Les accords de célesta accompagnant l'apparition de la Fée Bleue, dans Pinocchio, sont ainsi une réminiscence du Chevalier à la Rose de Richard Strauss, tandis que le feu qui embrase la forêt, dans Bambi, commence par le même trille que celui de la Danse rituelle du feu de l'Amour Sorcier de Manuel de Falla.

On remarquera que si la musique est déjà omniprésente dans Blanche-Neige et les sept nains, elle utilise ses ressources de façon plus prudente que Pinocchio, dont l'orchestre est plus audacieux et plus cuivré notamment ; le paroxysme survient avec Bambi, dont la partition, de bout en bout, est d'une complexité, d'une richesse et d'une modernité étonnantes. On ne peut s'empêcher de rêver à ce qu'auraient produit les studios Disney si la guerre n'était pas intervenue, imposant une période de vaches maigres et mettant un terme presque définitif aux ambitions purement artistiques de la maison.

Deux styles, un tout

L'intelligence du travail d'équipe peut se ressentir dans chacun des trois films. Les uns composaient des chansons, les autres des musiques pour soutenir l'action. Certains avaient plutôt un talent de music-hall, d'autre une vocation symphonique : pourtant, l'équilibre est trouvé. Dans Bambi, le passage de la chanson Love is a song (oeuvre de Franck Churchill, homme de chansons, magnifiquement interprétée par Donald Norris) à l'éveil symphonique de la forêt (oeuvre d'Edward H. Plumb, musicien purement classique et directeur musical sur Fantasia) se fait précisément par une reprise de la mélodie, habillée de choeurs instrumentaux et peu à peu envahie par l'orchestre. Cet équilibre d'un registre à l'autre permet aux chansons de revêtir discrètement certaines couleurs jazzy de leur époque (les trompettes avec sourdine « velvet » qui accompagnent notamment, dans Blanche-Neige et les sept nains, With a Smile and a Song, Un sourire en chantant et, dans Bambi, certaines reprises de Love is a song, sans jamais tomber purement et simplement dans le répertoire alors à la mode. Cette volonté de demeurer atemporel compte pour beaucoup dans la longévité de ces chef-d'oeuvres et Walt Disney y a toujours personnellement veillé. De la même manière, dans Pinocchio, le numéro de music-hall de Jiminy Cricket chantant Give a Little Whistle (Chantez vive, vite) s'intègre parfaitement au reste du film grâce au style même du personnage.

Thèmes

On ne peut qu'admirer le savoir faire et le talent des compositeurs, en écoutant attentivement les bandes originales des trois chef-d'oeuvres disneyens. Ils savent économiser leurs moyens, réservant leurs effets les plus puissants pour les meilleurs moments du film, recourant à des procédés bien simples mais d'une terrible efficacité dramatique. Ainsi, les deux seuls roulements de timbales que l'on entend à découvert, dans Blanche-Neige et les sept nains, correspondent aux deux dangers de mort qui menacent la princesse : lorsque le chasseur brandit son couteau, puis avant qu'elle ne s'effondre, empoisonnée par la pomme. Le thème du palais où habite la reine, sur un motif chromatique descendant puis remontant, se retrouve dans le lancinant motif de la sorcière. Le thème monte lorsqu'elle prépare la recette de sa transformation, descend lorsqu'elle se métamorphose, remonte lorsqu'elle confectionne la pomme et redescend à son départ du château, rythmant ainsi toutes les étapes de ses maléfices. Il prend un net caractère de marche funèbre lorsque la sorcière quitte le château, sur des harmoniques de violon. Dans Pinocchio, bien que When You Wish Upon a Star, Quand on prie la bonne étoile, véritable tube, soit devenu à lui seul l'emblème de toute la magie disneyenne, c'est Little Wooden Head, Gentil pantin de bois, qui évoque l'amour paternel, à la façon d'un leitmotiv.

Il est vrai que cette délicieuse chanson, à mi-chemin entre la comptine et la berceuse, est particulièrement polymorphe et s'adapte aisément aux différentes énergies qu'on lui insuffle, au cours du film. On l'entend dès les premières mesures du générique, puis à différents moments dans l'atelier de Geppetto, lors des retrouvailles dans la baleine Monstro, et à la mort supposée du pantin de bois. Ce thème confère au film une chaleur dont l'action, au demeurant très noire et cruelle, serait fréquemment dépourvue. Dans Bambi, on remarque le thème de l'homme, construit sur la même idée que celui de la sorcière de Blanche-Neige et les sept nains. Il s'agit de trois notes montant chromatiquement ; lourd de menaces, lancinant, ce thème accroît la tension à mesure qu'il se resserre en accélérant. Parfois, il est soutenu par les timbales. John Williams travaillera suivant la même idée, lorsqu'il créera le thème du requin pour les Dents de la mer : il n'est plus même besoin de voir l'animal pour en ressentir la présence, tout comme l'homme demeure invisible dans Bambi, alors que sa menace, elle, est bien palpable. Bambi est tout entier porté par le grand choral Love is a song, à la fois majestueux et émouvant, d'une grande charge lyrique. Curieusement, dans Blanche-Neige et les sept nains, c'est le thème Un Chant qui constitue le générique du film, l'une des rares chansons qui ne soient pas chantées par la princesse, mais c'est bien Un jour, mon prince viendra qui forme l'apothéose, marquant l'apparition des choeurs jusque là absents du film. Cette économie de moyens ne se retrouvera pas dans Pinocchio, où ils apparaissent très tôt, ni surtout dans Bambi.

Choeurs

Dans Bambi, les choeurs sont à la fois la voix et la force de la Nature et du Destin. Les arrangements qui leur sont dévolus sont d'une grande exigence. Tantôt utilisés avec des paroles, ils peuvent devenir instrumentaux, chantant à bouche fermée ou entr'ouverte, ou bien sur des voyelles (la plupart du temps, « ou », mais aussi « è », voire « i » dans la scène de l'orage). La quarantaine de chanteurs est divisée en cinq ou six pupitres, certaines sopranos planant assez haut dans l'aigu. Les choeurs sont parfois employés en glissandi (dans la scène de l'orage, pour évoquer les gémissements du vent), ce qui a dû supposer une mise en place assez difficile pour l'exécution ; on retrouve cette technique d'écriture dans l'Ave Maria de Fantasia, film contemporain de Bambi. Le choeur intervient également dans la scène de l'hiver, en une pièce a capella, à bouche presque fermée, très plaintive et douloureuse, saisissante de solitude et de désolation. Dans l'air central du film, Love is a song, les choeurs prennent une dimension puissante et héroïque. Cette tradition des grands choeurs a profondément influencé la maison Disney, qui a tenté d'en retrouver le prestige : dans la scène du survol de Londres, avec les glissandi (Peter Pan), dans les minutes précédant l'apparition de la fée, dans Cendrillon, dans la scène suivant le repas au restaurant italien pour La Belle et le clochard, avec le choeur des fleurs d'Alice au Pays des merveilles et à plusieurs reprises dans La Belle au Bois dormant.

Voix

La maison Disney est très exigeante avec ses chanteurs, si bien que la plupart des nouveaux doublages des films conduisent à des abandons purs et simples de certaines prouesses vocales offertes par les voix d'origine ! Adriana Caselotti, celle de Blanche-Neige et les sept nains, attaque un contre mi bémol sans préparation, dans la tyrolienne des nains ; pour ce passage virtuose, c'est sa voix qui a été conservée dans les versions françaises successives. On remarquera que certaines vocalises de Sifflez en travaillant ont disparu de la toute dernière version française de 2001 (dans la version française de 1962, cependant, la voix d'Adriana Caselotti avait été conservée pour ce passage spécifique). Dans Pinocchio, Cliff Edwards termine When you wish upon a star par un si aigu, en voix mixte, que le chanteur de la version française de 1975, pourtant excellent, est incapable d'atteindre. On ne peut que constater les dégâts que causent ces légères abdications artistiques, lors des nouvelles versions françaises, surtout lorsqu'elles s'ajoutent à une volonté de moderniser la bande son par une façon de chanter plus proche de ce qu'entendent les enfants à la télévision : Cendrillon, Peter Pan et la Belle au Bois dormant en ont tout particulièrement fait les frais. Signalons un procédé utilisé dans Bambi, celui d'extraire deux solistes du choeur pour les faire dialoguer, dans la chanson I Bring You a Song (Je chante pour toi) ; on retrouvera cette façon de faire dans la Belle et le Clochard, également dans la scène d'amour de la Bella Notte.

Orchestres

L'instrumentarium des dessins animés de Disney est beaucoup plus débridé que celui des formations classiques habituelles ! Sur la base d'un orchestre symphonique dont la section des cordes est, le plus souvent, diminuée grâce aux possibilités offertes par la sonorisation en studio, s'ajoute un piano (qui intervient tout particulièrement pour la scène du feu, dans Bambi, dans la scène de la taverne, dans Pinocchio), un accordéon (dans l'atelier de Gepetto), un petit orgue positif (dans l'île enchantée de Pinocchio ou pour la tyrolienne des nains de Blanche-Neige et les sept nains), une mandoline (qui imite la balalaïka des marionnettes russes pour Pinocchio), un banjo (dans la tyrolienne des nains). Tout au long de ce film, interviennent des instruments construits dans la même matière que le héros : le bois. Xylophone, wood-blocks et temple-blocks font ainsi merveille dans l'atelier de Geppetto (où ils sont associés aux pizzicati des cordes, au célesta, au glockenspiel et aux cymbales crotales, ainsi qu'à des jouets mécaniques), mais aussi au fond de la mer, en un 6/8 assez cocasse. Un orgue (de dimension plus importante que celui mentionné plus haut) intervient également lors de la veillée funèbre de Blanche-Neige et les sept nains, pour un choral à trois voix d'une réelle beauté et d'une grande puissance évocatrice. Dans Pinocchio, c'est le cor anglais qui évoque la solitude de Geppetto englouti par Monstro ; plus tard, lorsque les héros échouent sur la plage, le cor anglais reprendra sa mélopée sur un accompagnement de cordes. Quant à Monstro, ses épouvantables mugissements sont accompagnés de bassons et de trombones d'un effet très sûr. L'orchestre se voit confier des moments de bravoure dans lesquels la virtuosité des compositeurs et des orchestrateurs éclate : l'écriture y est fragmentée, colorée et d'une incroyable modernité. Mentionnons, pour Blanche-Neige et les sept nains, la scène de la fuite dans la forêt, de la transformation de la sorcière, de la poursuite finale des nains ; Pour Pinocchio, la transformation de Crapule en âne ou la scène avec Monstro ; pour Bambi, les scènes de chasse, le combat des jeunes cerfs et l'incendie de la forêt ; on se souviendra aussi de l'ouverture du film, des scènes de pluie, de neige ou de vent, d'une poésie que l'on retrouve dans Fantasia mais qui sera à jamais révolue par la suite.

Récompenses

L'industrie cinématographique ne fut pas ingrate et les musiques des trois films se firent remarquer : Blanche-Neige et les sept nains fut nominée à l'Oscar de la meilleure musique de film ; Pinocchio en reçut deux (meilleure chanson originale, When you wish upon a star, et meilleure partition originale). Bambi se vit décerner deux nominations (meilleure musique pour un film dramatique ou une comédie, et meilleure chanson originale pour Love is a song).

Enregistrements

Les bandes originales sonores de ces trois films ont été restaurées, notamment dans la gamme « Walt Disney records - Classic soundtrack series). Concernant Blanche-Neige et les sept nains, la version française de 1962, avec la talentueuse et adorable Lucie Dolène, avait fait l'objet d'un précieux CD Sony Music WDR 36016-2 ; on peut entendre Rachel Pignot, sa remplaçante, dans un CD 0927-42515-2.

Michel Bosc - 12 mai 2009

Michel Bosc est compositeur et orchestrateur. En 1971, il découvre « La Belle au Bois dormant » de Walt Disney, qui va décider de sa vocation musicale. Depuis, il en est en resté un admirateur inconditionnel ! Aujourd'hui, il vous offre une nouvelle analyse personnelle autour de sa passion musicale pour les oeuvres Disney.