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Il y avait une fois... C'est par ces mots qu'il y a 76 ans s'ouvrait pour le public francophone le premier long métrage d'animation de Walt Disney, juste après bien sûr le générique qui annonçait une production à grand-métrage, une grande première à cette époque. Et comment diable puis-je bien le savoir ? Sans doute parce qu'il y a un an et demi émergeait le doublage français originel du film détenu par un collectionneur sur une bobine 16mm (c'était en décembre 2012 grace à Rémy du site Dans l'ombre des studios et Greg du site FilmPerdu). Si je reconnais avoir failli faire une syncope lorsqu'on m'a annoncé la bonne nouvelle, j'avais déjà entendu parler de la possible existence de cette version intégrale trois ans plus tôt. Sans parvenir à l'affirmer ou l'infirmer par la suite. C'était le 25 septembre 2009, Daniel, un ami Montpelliérain fervent admirateur du long métrage parvenait enfin à trouver une piste sérieuse. Il venait d'entrer en contact avec la boutique parisienne bd-ciné.com spécialiste en projecteurs et films sur pellicule. Celle-ci lui affirmait que l'un de ses fidèles clients détenait le film sur pellicule dans sa collection personnelle. Malheureusement, ni lui, ni moi-même ne pouvant nous rendre sur Paris, cette information capitale resta désespérément lettre morte. Le dit collectionneur n'ayant jamais voulu nous recontacter. Je tentais quand même d'envoyer sur place des amis parisiens creuser la piste, sans plus de succès. Mettre la main sur le doublage de 1938 devint donc pour moi une sorte de mythe informe. Échouer en étant si proche du but... Pas étonnant que j'en fasse presque un malaise en 2012, qu'est-ce qui avait pu provoquer la réémergence de cette bobine ? Je n'en ai pas la moindre idée, et à dire vrai, la seule chose que j'ai envie de dire, c'est un immense merci !
Après ce long pavé d'introduction un peu hors-sujet, passons à ce qui vous intéresse le plus ici : l'analyse comparative des trois doublages désormais connus de Blanche-Neige et les sept nains. L'une des premières choses qui m'a le plus frappé lors de ma découverte du doublage de 1938 fut la quasi absence de style narratif dans les dialogues. Pour une raison toute simple, je m'étais attendu à une forte disparité entre la Reine, Blanche-Neige et le Prince d'un côté, et les nains de l'autre, comme c'était par exemple le cas de La belle et le clochard où une forte frontière de classe sociale existait entre les personnages dans la version de 1955, frontière qui avait ensuite été gommée en 1989 puis totalement occultée dans le doublage de 1997. Si je savais pertinemment que les doublages de 1962 et 2001 de Blanche-Neige et les sept nains étaient similaires puisque tout ou presque a été calqué lors du dernier doublage sur les intonations de celui de 1962, je m'étais attendu à une plus nette fracture face au doublage de 1938. Et bien que neni, si l'on ne peut effectivement pas passer outre les accents de certains comédiens, dont la voix très colorée de Charles de Ravenne (Joyeux), force est de reconnaître que la langage utilisé dans le doublage de 1938 est parfaitement intemporel lui aussi ! Seules quelques expressions et locutions trahissent l'âge avancé de cette version.
Je mentirais toutefois en affirmant qu'il n'y a pas disparité entre la version de 1938 et les deux versions suivantes. On va d'ailleurs s'amuser à en faire le tour. Commençons par la vedette de ce long métrage, à savoir Blanche-Neige elle-même. En 1938 ce sont ainsi deux personnes qui jouent le personnage. D'abord, Christiane Tourneur fait ainsi la voix parlée du personnage. Relativement agréable à écouter, quoi que peut-être quelquefois un peu haut perchée, sa voix correspond bien à la jeune princesse si l'on met de côté les quelques passages où Christiane semble parler du nez, ou plus amusant encore à lancer un mémorable « Je sais ! » qui donne vie de lui répondre « A tes souhaits » vu le sorte d'éternuement que l'on semble entendre à ce moment précis du film. De l'autre côté c'est Béatrice Hagen qui interpète les chansons de Blanche-Neige. Sans jamais égaler une seule seconde la performance parfaite de Lucie Dolène en 1962, Béatrice Hagen ne parvient pas non plus à égaler Rachel Pignot de 2001. La faute à des chansons maladroitement interprétées par une chanteuse apparemment non francophone (semble-t-il) qui mange ainsi la plupart des mots du texte. On reconnaîtra aussi que la mauvaise qualité d'enregistrement des chansons joue aussi en sa défaveur. Béatrice Hagen semble en effet éloigné du micro, déphasant quelque peu le personnage de l'écran.
Pour ce qui concerne les deux versions récentes, seule la nostalgie vous fera préférer Lucie Dolène à Valérie Siclay, car leurs voix sur les dialogues sont parfaites dans les deux cas pour Blanche-Neige. Valérie Siclay s'efforce d'ailleurs de rester si proche dans le timbre et les intonations à la version de 1962 que sa voix reste tout aussi agréable à entendre dans le film. Par contre, en ce qui concerne les chansons, Lucie Dolène remportera tous les suffrages. Malgré son interprétation remarquable, Rachel Pignot ne peut pas rivaliser avec l'âme qu'apporte Lucie aux chansons. En ce qui concerne la Reine, ma préférence va immédiatement à Claude Gensac sur la version de 1962. La célèbre « Ma biche » (la fidèle et meilleure acolyte féminine pour Louis de Funès) y est ici totalement méconnaissable. Sa voix, tout bonnement terrifiante, domine et captive complètement l'attention. Magistrale dans ce rôle, Claude Gensac rend la redoutable Reine assurément monstrueuse. Que ce soit dans l'introduction avec le Miroir Magique, sa conversation avec le chasseur ou son monologue lors de sa métamorphose, la Reine y est maléfique à souhait. Vos jeunes enfants vont en faire des cauchemars toutes les nuits !! En première dauphine, je placerai volontiers Adrienne D'Ambricourt pour la version de 1938, et ceci malgré sa voix un peu trop âgée à mon goût qui dénature un tout petit peu l'envergure du personnage. Viendrait enfin Sylvie Gentil dont l'interprétation assez neutre n'effraiera malheureusement personne.
Du côté des sept nains, j'ai plusieurs coups de coeurs piochés parmi tous les doublages. Sur le doublage de 1938, Charles de Ravenne est ainsi un fabuleux Joyeux. Son petit accent de sudiste colle à merveille à l'exubérant personnage au point que j'ai même remonté Jean-Loup Horwitz (2001) à la seconde place tandis que j'ai relégué Raymond Rognoni (1962) à la dernière alors que je jurais que pour lui autrefois. Le rôle de Grincheux, je l'attribue sans détour à Léonce Corne (1962) qui est le seul à parvenir à donner une double personnalité au personnage, son côté tendre est ainsi enveloppé avec malice sur son côté ronchon. Une subtilité qui n'existe pas avec André Cheron (1938) qui penchera plus pour le côté râleur, alors que Gérard Rinaldi (2001) fera exactement l'inverse en renforçant plutôt le côté comique. Pour ce qui est de Prof, impossible pour moi d'apprécier Jean-Claude Donda sur le doublage de 2001. Je n'ai jamais réussit à apprécier les multiples voix qu'il est capable de créer (Ce qui n'est cependant pas le cas de sa voix « naturelle » que j'aime bien. Curieux paradoxe, hein ?), sorte d'alergie chronique inguérissable. Du coup, le Prof de 2001 ne passe absolument pas pour moi, tout autant que Winnie l'ourson que je ne peux désormais plus écouter, puisque c'est lui qui a prit la suite de Roger Carel sur ce personnage. Aucun soucis heureusement avec Eugène Borden (1938) et Richard Francoeur (1962) dont les styles vocaux se prêtent bien au personnage, dans des registres pourtant assez opposés.
Le reste de la fratrie des nains bénéficie d'excellentes voix dans tous les cas, je n'ai pas de préférences particulières sur les trois doublages. Idem en ce qui concerne le Prince et la Sorcière. On saluera bien entendu la performance de... Simplet, qui fidèle à lui-même, ne bronchera qu'une seule fois de sa voix terrifiée restée... en VO dans les trois cas. Pour ce qui concerne les chansons, c'est un peu du pareil au même. Je n'évoquerai pas les chansons de 1938 (si ce n'est que leur célèbre ritournelle est chanté à l'anglaise « Heigh Ho !» et non « Hé Ho !»), car j'ignore si ce sont ou non les mêmes comédiens vocaux qui chantent également, pour me concentrer sur celles de 1962 et 2001. Car ces deux versions font un même choix qui est de faire intervenir des chanteurs différents sur les nains, voir même un choeur masculin pour ce qui est de la version de 2001. J'émettrais d'ailleurs une forte réserve concernant ce choix pour la version de 2001 tant l'intrusion de ce choeur vocal - particulièrement lors de la séquence où ils se lavent - est tellement appuyée qu'il se remarque obligatoirement. Alors qu'au contraire, sur la version de 1962, seule une oreille attentive est réellement capable de remarquer que ce sont d'autres personnes qui chantent.
Mon analyse déborde un peu de la taille maximale que je m'autorise d'ordinaire, mais tant pis, pour une fois j'ai envie de continuer encore un petit peu en évoquant les petites subtilités irrésistibles que j'ai relevé sur le doublage de 1938. Commençons tout d'abord par le Chasseur sur la version de 1938. André Cheron livre une interprétation étonnante, puisqu'il lui attribue un fort accent rendant ses dialogues assez amusant : « mais, vot' majesté, la p'tite princesse ». Je soupçonne un choix volontaire destiné à marquer l'asservissement du Chasseur vis à vis de la Reine, une subtilité que ni André Valmy (1962), ni Marc Alfos (2001) ne reprendront par la suite. Autre fait marquant de ce doublage, la chanson finale du film est curieusement absente ! Alors que les versions de 1962 et de 2001 se conclut toutes les deux sur la chanson qui commence par « Quand le printemps un jour... », la version de 1938 en est dépourvue ! A la place, on y entend des « La la la » en rythme avec la musique !! Autre subtilité, cette-fois-ci du côté de la tirolienne des nains, Christiane Tourneur s'invite dans la chanson en rigolant simplement sur les blagues de Simplet (juste après le morceau interprété par Joyeux), tandis que Lucie Dolène et Rachel Pignot s'inviteront toutes les deux en chantant une partie du refrain.
Terminons enfin cette longue analyse en évoquant ce que nous avons perdu dans toutes les éditions récentes du film, que ce soit en DVD et en Blu-ray. Si le travail de restauration haute définition accomplit par Disney reste remarquable, force est de constater que le film a peu à peu perdu son côté « francisé ». L'équipe de Walt Disney avait en effet réalisé des dessins spécifiques au public français qui ont aujourd'hui totalement disparu (Vous les retrouvez quasiment tous pour illustrer cette page). En dehors du générique, remanié à plusieurs reprises pour tenir compte des ressorties et des redoublages, la version de 1938 comportait ainsi en introduction « Il y avait une fois... » finalement remplacé par un plus conventionnel « Il était une fois » jusqu'en 2001. La tarte que confectionne Blanche-Neige était également décorée du nom de Grincheux, qui fut étrangement retirée du film au moins en 1994 (peut-être même plus tôt) sur toutes les éditions vidéos jusqu'à ce jour au profit d'une décoration banale. Les grimoires de la Reine étaient également tous écrit en français. Seule la version de 1938 respecte d'ailleurs dans le dialogue ce qui est écrit à l'écran, puisque Adrienne d'Ambricourt parle bien de poudre magique pour se vieillir, alors que les doublages de 1962 et 2001 évoqueront de la poussière de momie. Une erreur probablement commise au moment du doublage de 1962, car les adaptateurs ne devaient sans doute pas disposer du film en version française, et ont donc dirigé leur traduction au profit du grimoire anglais qui évoque effectivement la poussière de momie. Ce qui causa donc une incohérence sur les éditions vidéos de 1994 et de 2001, qui réintégraient les grimoires écrit en français et perturba de nombreux fans à l'époque. Enfin, le texte final apparaissait autrefois par dessus un fonds mouvant (comme c'est le cas de la version originale) où les feuilles et la neige virevoltent à l'écran. Ils furent par la suite remplacés par des fonds fixes qui, s'ils conservent exactement la même traduction, bénéficient au passage d'une police de caractère plus moderne. A cause de cela, Blanche-Neige et les sept nains bénéficie désormais d'un narrateur, à savoir Philippe Catoire depuis 2009, pour que les non anglophones puissent désormais comprendre le film resté désespérément intégralement en anglais à l'écran.
Que retenir aujourd'hui autour de ces trois doublages ? S'il l'on met de côté les arguments abscons avancés par Disney France pour justifier ces redoublages intempestifs et inutiles, force est de reconnaître que Blanche-Neige et les sept nains a réussit à obtenir, par trois fois, des doublages de qualité. C'est d'autant plus vrai quand on sait que Disney Character Voices International avait le plus sérieusement du monde envisagé aux alentours de l'année 2000 de faire doubler les personnages par des stars à la mode (argh!), avant de se raviser face au tollé provoqué par cette nouvelle annoncée dans certains magazines, pour finalement offrir quelque chose de plus intemporel au long métrage (ouf !). Au final, hormis le chagrin naturel que ressentira le fan nostalgique face aux multiples modifications opérées sur la version française en près de 80 ans, Blanche-Neige et les sept nains reste une oeuvre d'envergure à savourer même dans son doublage le plus récent. Il le mérite bien. En attendant la prochaine modification ou le prochain redoublage, on est à l'abri de rien de nos jours...
Nota Bene : La liste des comédiens ayant contribué à ces doublages francophones est disponible dans la fiche dédiée du film. Merci de vous y reporter.
Olivier J.H. Kosinski - 23 avril 2014