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A l'époque de sa conception, ce long métrage avait un destin tout autre. Il aurait du s'appeler Kingdom of the Sun (Le royaume du soleil) et conter une histoire très différente. Mais en raison de très lourds problèmes logistiques, artistiques et même humains, son destin fut complètement chamboulé. Complètement remis à plat, orienté dans une direction loufoque inhabituelle pour la compagnie Disney, le long métrage est devenu depuis un véritable OVNI dans le catalogue des Walt Disney Animations Studios. Prenant le contre-pied de tout ce qui avait été produit par ce studio jusqu'à lui, il nous a offert un long métrage complètement délirant bien plus digne de Tex Avery ou des Looney Tunes que de Disney. Cela a fortement déstabilisé le public et les fans à l'époque, avant que le film finisse par être hissé au panthéon des films Disney désormais cultes. Il était donc très intéressant d'aborder un comparatif de doublage entre Kuzco, l'empereur mégalo, sa version française, et Un empereur nouveau genre, sa version québécoise, afin de savoir si la sensibilité humoristique était commune ou radicalement différence d'une région à l'autre. La preuve en est que oui, il y a bel et bien une variation entre les deux, mais pas vraiment là où on s'y attend. Et entre les deux, mon coeur balance, même si ma préférence va à la version française. Non pas parce que celle-ci est meilleure, vous verrez d'ailleurs pourquoi ci-après, mais simplement parce que la version française est ponctuée d'innombrables répliques cultes passées à la postérité. En voulant rester au plus proche de la version originale, sans jamais chercher une seule fois à s'émanciper, la version québécoise ne peut du coup pas du tout rivaliser sur cet aspect. Mais elle s'ingénie à proposer une autre forme d'humour qui fonctionne tout autant.
La majeure différence entre les deux doublages réside dans l'angle d'interprétation voulue par leurs directeurs de plateau respectifs. La version québécoise choisit de conserver une certaine dignité aux personnages, chaque personnage est convaincu du bien fondé de ses arguments et s'en tient à sa ligne de conduite du début à la fin. Cela crée un forme d'humour particulière, qui permet de mettre en évidence un contraste saisissant entre le côté sérieux des dialogues et l'invraisemblance de la situation à l'image. Cela crée une dissonance vraiment très drôle qui fonctionne donc très bien, mais qui a pour seul défaut de n'interpeller le spectateur que sur l'instant. Au contraire, la version française préfère transformer tous les personnages en des entités complètement loufoques, chacun d'entre eux gagne donc un grain de folie et une extravagance évidente. Dans cette version, il n'y a plus de dissonance entre l'image et le son, mais au contraire une accumulation vers le pur délire. Dans les faits, cet amoncellement permet de comprendre dès le début du film que tous ces personnages sont complètement fous et que rien de ce que l'on va découvrir ensuite n'aura ni queue ni tête. Dès lors, en poursuivant dans cette voie jusqu'au dénouement, la version française enchaîne calembours et des dizaines de blagues à la minute avec une telle frénésie que chaque réplique reste irrémédiablement gravée à jamais dans le cerveau du spectateur ! C'est d'ailleurs sur cet unique point précis que ma « balance des préférences » a penché vers la version française. Parce que dans les faits, aucune des comédiens ne démérite jamais quel que soit le doublage. D'ailleurs, passons-les en revue.
Commençons par notre seigneurie camélidé préférée, le lama Kuzco. Pour la version québécoise, c'est Marc-André Coallier qui lui prête sa voix. A ce jour, sauf erreur, il s'agit de son unique rôle en terme de doublage (rôle qu'il reprendra uniquement pour le second volet), il préfère depuis se consacrer à la comédie. Comment a-t-il obtenu ce rôle titre dans le film, je ne saurais le dire. Toujours est-il qu'à cette époque, Marc-André Coallier souhaitait casser son image trop lisse de présentateur TV pour le jeune public en montant un spectacle sur scène beaucoup moins édulcoré. Cela lui a donc offert une belle opportunité qu'il convient de saluer. Car il apporte à Kuzco une voix nasillarde et hautaine qui sied à merveille à l'orgueilleux empereur. Une fois transformé en lama, il continue de garder le peu de dignité qu'il reste à l'empereur tout en marquant son côté manipulateur. On rit donc avec plaisir à ses dépends. Au point culminant du film, lorsque Kuzco finit par accepter sa condition, Marc-André Coallier réussit le tour de force de métamorphoser le personnage en être très sensible, sans pour autant dénaturer sa condition d'empereur. Chapeau ! Dans la version française, c'est l'humoriste et imitateur Didier Gustin qui joue ce rôle. A l'époque du doublage, il est lui aussi très connu (du moins sa voix, plus que son visage) auprès du jeune public à la télévision. Il assure ainsi de nombreuses voix masculines pour les célèbres Minikeums. A la différence de ses expériences précédentes, Kuzco lui offre la possibilité de jouer pour la première fois avec sa « vrai voix ». Si la première partie du film est surtout tournée vers le pur delirium, où Didier Gustin s'ingénie à conserver ce grain de folie à Kuzco, il réussit lui aussi à transmuter Kuzco au même moment que Marc-André Coallier. Là encore, cela fait donc mouche dans le film !
Sur Pacha, les deux versions font appel à des comédiens chevronnés qui ont déjà plusieurs fois donné leur voix à John Goodman (sa voix originale) : Yves Corbeil et Jacques Frantz. Assez étrangement, Pacha est le seul personnage un tant soit peu sensé dans ce long métrage, celui avec lequel le spectateur va forcément s'identifier le plus. Du coup, il n'y a aucune réelle différence d'interprétation sur la version française et la version québécoise du film. Pacha y est représenté dans les deux cas comme posé, réfléchit, avenant et sensible. Il n'y a aussi que très peu de différence concernant les deux voix des comédiens, que ce soit dans le jeu ou l'intonation, qui se glissent donc de manière parfaitement naturelle sur cet attachant personnage. Les voix francophones de Pacha s'accordent à merveille avec celles des autres personnages, on appréciera même son côté paternaliste que ce soit avec ses propres enfants, qu'avec le grand enfant gâté qu'est Kuzco. Autre personnage masculin de premier plan dans le film, le benêt aux gros biceps Kronk bénéficie dans les deux cas d'une voix trafiquée. Benoit Rousseau et Emmanuel Curtil lui donnent une grosse voix qui sonne complètement creux, à l'image du personnage bodybuildé mais au cerveau étriqué (mais quand même doué de conscience !). C'est là aussi une vrai merveille auditive, tant on est fasciné par ce méchant qui ne l'est pas vraiment et amouraché d'une horrible femme qui pourrait être son arrière, arrière, arrière, arrière, arrière, arrière, arrière, arrière, arrière, arrière, arrière, arrière, arrière... Et puis, bon, il est tellement drôle dans sa naïveté !!
Yzma, parlons-en tiens. Celle qui voulait être empereur à la place de l'empereur, est sans nul doute possible le personnage le plus extravagant qu'ai jamais imaginé les Walt Disney Animation Studios pour leurs longs métrages d'animation. A la fois moche et distinguée, irascible et hypocrite, narcissique et affectivement dépendante, Yzma est ainsi un personnage des plus complexes. C'est sans nul doute possible le personnage qui déroutera le plus les néophytes des doublages francophones car cette fois-ci, il y a une différence très marquée entre les deux interprétations. Sur la version québécoise, Sophie Faucher est plus âgée, cela se ressent très fortement sur le personnage qu'elle joue. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela convient irrémédiablement bien à Yzma, dont la comparaison de Kuzco avec un produit périmé fonctionne bien mieux que sur la version française où elle y parait plus jeune. Ce qui est formidable avec Sophie Faucher, c'est qu'elle réussit à donner deux voix au personnage : l'une presque enfantine pour marquer son côté hypocrite et l'autre sec et sarcastique quand il s'agit de sévir. Elle préfère également les phrases concises et franchement assassines lors de ses mémorables pétages de plomb pour lesquelles elle est excellente. Par exemple, quand elle s'en prend violemment au pauvre écureuil, on en pleure de rire ! Côté français, Élisabeth Wiener a certes une voix plus juvénile, mais elle a le mérite de rendre Yzma autrement plus hystérique. Elle excelle dans les non-dits et, surtout, lorsque le personnage bouillonne et rumine dans sa barbe. A l'opposée de Sophie Faucher, Élisabeth Wiener est moins douée dans les piques verbales, préférant la surenchère, mais elle transforme cependant en pépite certaines scènes clés du film. Par exemple, lors de la mémorable séquence du plan de « la boite envoyée par la Poste », Élisabeth Wiener monte dans un infernal crescendo vocal qui dériderait n'importe qui !
Autour de ces quatre personnages principaux, évoquons quelques personnages un peu plus secondaires. Commençons par le vieil homme qui se fait négligemment jeter hors du palais ! Que ce soit Yves Massicotte ou Georges Aubert, les deux comédiens apportent une certaine gaîté à ce personnage discret mais tellement comique. Par contre, Georges Aubert fait un début tonitruant en criant un excellent « EX-CU-SEZ ! » plus appuyé et beaucoup plus désespéré que Yves Massicotte et son trop timide « PAAR-DOOON ! ». Il faut reconnaître aussi que le succulent « J'ai pourri le groove de l'empereur » est autrement plus cocasse que le plus lisse « j'ai cassé la cadence de l'empereur ». Mais dans les deux cas, le vieil homme reste un joyeux boute-en-train. Terminons avec la famille de Pacha. Frédérique Tirmont et Isabelle Leyrolles sont d'adorables mamans. Il n'y a aucune variation entre les deux interprétations, elles savent toutes les deux être une charmante épouse, une mère attentionnée et... une preneuse d'otage ingénieuse ! Pour les enfants par contre, j'ai une préférence pour le couple Charlotte Mondoux/ Rosemarie Houde de la version québécoise, plus malicieux, que le couple Marie Sambourg / Camille Donda de la version française, plus irritant aux oreilles. On relèvera au passage que dans les deux cas, ce sont quatre voix féminines qui jouent les deux enfants, bien que Tipo soit en réalité un garçon (c'est une pratique assez courante dans le milieu du doublage, où généralement ce sont des actrices adultes qui modulent leurs voix afin de la donner à de jeunes garçons).
Pour en terminer, la version québécoise préfère systématiquement coller au plus près de la version originale. En cela, certaines scènes paraissent plus fades en comparaison de la version française, mais ce serait vite oublier que d'autres en ressortent bien meilleures. A l'excellente « La conjonction de coordination fait toute la différence » qui fait tant rire dans la version française, on trouve une autre réplique tout aussi hilarante ailleurs dans la version québécoise comme l'incontournable « Toi, fous-moi la paix ! ». Pour la succulence comptine des « 90 macaques », on a le savoureux « Bon, il est raide alors fini le deuil ! ». Des exemples de ce genre, on en compte par dizaines ! Mais si ma préférence va à la version française, c'est parce qu'en terme de répliques cultes, elle en compte deux fois plus dans celle-ci que dans l'autre. Pour la simple et bonne raison que la version française improvise à tout va, quitte à être sacrilège avec la version originale. Mais en toute honnêteté, c'est la seule réelle différence flagrante qui existe entre les deux doublages. Kuzco, l'empereur mégalo et Un empereur nouveau genre sont en réalité tous les deux drôles, ils ne jouent tout simplement pas dans le même registre humoristique.
Nota Bene : La liste des comédiens ayant contribué à ces doublages francophones est disponible dans la fiche dédiée du film. Merci de vous y reporter.
Olivier J.H. Kosinski - 05 février 2016