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En 2007, le studio d'animation Pixar a décidé d'offrir une ôde à la grande gastronomie française en plaçant l'action de son long métrage à Paris. Dès lors, il vient immédiatement à l'esprit que le doublage français du film a plus de légitimité que celui réalisé au Québec. Sauf que, dans la très grande majorité des cas, les doublages québécois sont systématiquement proposés en "français international", ce qui gomme presque systématiquement nos différences et particularités linguistiques. Chez Disney, depuis plus de 15 ans maintenant, les doublages francophones sont supervisés par la branche parisienne quel que soit le territoire parlant la langue de Molière. Dès lors, les propositions sont souvent peu variées, les accents lissés et, à quelques petites expressions près, difficile à différencier si l'on n'a pas une oreille attentive. C'est d'autant plus amusant que Disney brouille les pistes depuis cette date en mélangeant comédiens québécois et français, dans une joyeuse cacophonie francophone désormais uniformisée. C'est un peu pour ça que j'ai peu à peu délaissé les comparatifs doublages pendant plusieurs années qui n'offrent plus matière à comparaison. Ratatouille, allait ouvrir le bal, discrètement, avant que WALL•E lui emboîte plus ouvertement le pas ensuite. J'y reviendrai.
Pour les fans de doublages des années 1980 et 1990, il est indéniable qu'ils sont forcément perturbé par la présence d'une actrice française dans le doublage québécois. Cette actrice, c'est Michèle Lituac. En France, on l'associe immédiatement à Phoebe Buffay Hannigan, le personnage qui pousse souvent la chansonnette et interprétée par Lisa Kudrow dans la série Friends. Personnellement, je l'associe plus facilement à Phoebe Cates dans Gremlins 2, la nouvelle génération, Elisabeth Maxwell la fille à demi-alien dans la série originale V ou bien encore Aliséa dans La Légende d'Aliséa réalisée par Lamberto Bava et Andrea Piazzesi en 1996 (les mêmes derrière la saga de Fantaghiro). Au début des années 2000, elle s'envole finalement pour le Québec et s'y installe, poursuivant sa carrière dans le milieu du doublage. C'est à elle qu'échoue quelques années plus tard le rôle de Colette, le seul personnage féminin dans les cuisines de Gusteau. Inévitablement, mes oreilles ont immédiatement été perturbées par ce choix car, en France, on retient surtout son doublage déconnant de Phoebe dans Friends. Colette n'a bien évidemment rien à voir, c'est un personnage féminin fort (l'une de celles qui sont souvent assez rares dans les premiers films Pixar) qui a travaillé dur pour être acceptée dans un milieu souvent très masculin de la haute gastronomie. Passé la surprise de réentendre Michèle Lituac, et le temps de se déshabituer de celle de la chanteuse Camille de la version française, je dois admettre qu'elle convient très bien au rôle à la fois déterminé et fragile, mais souvent très enjouée. Côté français, Camille joue une Colette plus en retenu, mesurant ses propos et plus professionnelle en un sens. Mais dans les grandes lignes, les deux interprétations se valent.
Pour Linguini, il faut avouer que l'interprétation du français Thierry Ragueneau reste de haut vol. Pour autant, depuis que je connais la version québécoise, j'ai tendance à lui préférer Philippe Martin pour une seule raison : il lui donne au départ un caractère de joyeux imbécile. Dans le film, l'animation du personnage, tout comme son nom, tendent à rendre le personnage très élastique. A de nombreuses reprises, Pixar le décrit comme une catastrophe ambulante, ce dont Linguini semble avoir lui-même conscience. A contrario, Thierry Ragueneau lui donne une personnalité de joyeux drille, ce qui lisse beaucoup l'évolution du personnage. Car Linguini est avant tout opportuniste. Sa relation avec Rémy, qui se construit petit à petit, ne démarre pas vraiment sur les meilleurs auspices. Il voit dans le rat surtout un moyen d'évoluer facilement dans le restaurant de Gusteau. Un succès qui l'enivre et lui fait vite tourner la tête, jusqu'à ce que son monde factice finisse pas s'écrouler. Philippe Martin apporte finalement un meilleur parcours vocal au personnage, qui ne semble pas subir les évènement contrairement à l'interprétation Thierry Ragueneau, même si celle-ci reste de qualité.
Rémy, le dernier membre de la distribution principale du film, est bien entendu la principale vedette du film. Avouons que Benoit Éthier (Québec) et Guillaume Lebon (France) sont parfaits sur le rôle. Leurs interprétations du personnage sont presque identiques, si ce n'est que le second a une voix légèrement plus grave que le premier. Dans les deux cas, Rémy est un personnage furieusement attachant, beaucoup plus que Linguini d'ailleurs, dont on apprécie la pugnacité. Curieux de tout, cuisinier de talent, Rémy est un personnage qui ose avoir un rêve et parvient même à le réaliser. Lui aussi voit dans un premier temps Luigini comme un moyen détourné d'accéder à la gloire gustative, mais pas la même que celle de l'humain. Linguini y voit surtout une manière de grandir socialement, Rémy voit plutôt la situation comme un moyen d'accéder aux ingrédients dont il veut tirer les meilleures combinaisons culinaires possibles. C'est un personnage également remarquable car il est le seul qui va bousculer les traditions et dépasser les préjugés à son sujet. Après tout, un rat dans une cuisine, c'est la mort assurée d'un restaurant pour des raisons d'hygiène. Benoit Éthier et Guillaume Lebon parviennent tous deux parfaitement à transmettre ces émotions, que le personnage soit jovial ou au contraire au fond du gouffre au moment du climax.
Qu'on se le dise, j'adore Skinner dans les deux versions ! Patrick Chouinard (Québec) et Julien Kramer (Français), qui partagent à peu près la même fréquence vocale, jouent tous les deux le personnage dans un même style tragi-comique. Mieux, ils "grognent", interjectent à tout va et font des pitreries vocales similaires franchement réjouissantes. Skinner est un opportuniste qui a vu la mort de Gusteau comme un moyen de briller parmi les plus grands chefs de Paris. Mais il est surtout très cupide. Par la même, il est donc le miroir inversé de Rémy. Il ne voit dans la grande cuisine qu'un moyen de rapidement se faire de l'argent facile, ternissant peu à peu l'image de Gusteau. Par la même, il s'échine à empêcher tous les membres de son personnel de faire preuve de créativité qui pourrait nuire à son image. En cela, Skinner est donc plutôt un personnage perfide, mais dans la tradition des longs métrages Pixar, c'est aussi un bouffon. Patrick Chouinard et Julien Kramer parviennent de manière équivalente à retranscrire ces traits de caractères avec une bonne humeur très communicative qui transparaît à travers leurs voix. On sent vraiment qu'ils prennent plaisir à le doubler dans les deux versions françaises du film.
Peut-être vais-je me mettre à dos les fans du doublage québécois (mes plus plates excuses pour cela), mais j'apprécie franchement l'immense prestation de Bernard Tiphaine sur Anton Égo. Célèbre voix du milieu, notamment pour être régulièrement la voix de l'immense Jeremy Irons, au point d'avoir failli doubler intégralement Scar, qui n'hésite cependant pas à jouer la carte de la dérision et du sarcasme comme il le faisait avec Bender dans Futurama, le comédien s'impose comme la plus grosse surprise vocale de Ratatouille. Anton Égo est un homme froid, guindé, qui ne mâche pas ses mots, mais qui affiche pourtant une telle prestance que tout le monde ferme sa bouche quand il se montre. Bernard Tiphaine impose un personnage froid, impressionnant vocalement et qui semble parfaitement adapté au personnage. Même s'il n'a pas ma préférence, tout comme il ne démérite pas sur le rôle, Sylvain Hétu est un peu plus fade dans son interprétation. Bernard Tiphaine offre une vraie cassure entre le début du film et le moment où il rédige sa fameuse critique culinaire. En soit, il parvient habilement à montrer que Anton Égo a des failles, qu'il est capable de reconnaître ses erreurs. C'est moins évident avec Sylvain Hétu qui propose une voix finalement assez constante, plutôt malicieuse que malintentionnée. Dans la version québécoise, Anton Égo s'amuse surtout à torpiller les grands chefs, alors que dans la version française, il est clair qu'il veut causer du tort au restaurant de Gusteau.
Dernier petit tour d'horizon non exhaustif, Auguste Gusteau est doublé en France par Jean-Pierre Marielle, tandis que c'est Jean-Marie Moncelet qui s'occupe du personnage au Québec. L'être imaginaire, qui semble à la fois avoir une conscience propre tout comme il semble aussi être une représentation figurative des émotions de Rémy, est joué de manière assez équivalente dans les deux doublages. Jean-Pierre Marielle a une voix un tout petit peu plus profonde que Jean-Marie Moncelet, mais les deux offrent une interprétation assez similaire. J'en pense autant de Django (Jacques Lavallée, Michel Dodane) et Emile (Olivier Visentin, Pierre-François Martin-Laval), respectivement père et frère de Rémy, ainsi que tous les personnages secondaires qui apparaissent dans le long métrage. La plupart n'ayant que très peu de lignes de dialogues de toute façon, c'est trop peu pour réussir à les comparer vraiment.
Pour en terminer avec ce comparatif doublage, j'aimerai parler d'un dernier détail qui démontre la prise de contrôle discrète de Disney Character Voice France sur le doublage québécois. Si vous vous rappelez mes écrits d'il y a quelques mois, j'avais évoqué que, quelques années après Jean-Francois Camilleri avait été nommé à la tête du groupe, Disney France avait décidé de se réorganiser afin de gérer internationalement les doublages de tous les territoires francophones, incluant de fait le Québec qui faisait bande à part jusque là. La stratégie du doublage unifié s'est dès lors peu à peu imposée sur les deux territoires, en commençant par WALL•E en 2009. Cela ne concernait à ce moment là que les dialogues des quelques robots du film. Pour autant, Ratatouille avait déjà été concerné par cet révolution en 2007 : c'est en effet la chanteuse française Camille qui est imposée sur les deux doublages sur l'unique chanson du film, à savoir "Le Festin". Une stratégie logique qui découle de l'envie de Disney de n'avoir plus qu'une seule version francophone du texte des chansons de chaque film partout dans le monde, quitte à trahir le formidable travail que les adaptateurs québécois nous proposaient autrefois.
Nota Bene : La liste des comédiens ayant contribué à ces doublages francophones est disponible dans la fiche dédiée du film. Merci de vous y reporter.
Olivier J.H. Kosinski - 03 septembre 2024