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Doublages
WALL•E

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Comparatif doublages francophones (Français / Québécois)

Alors que j'en avais fait une spécialité sur le site depuis ses origines, les comparatifs doublages ont fini par s'espacer, jusqu'aux toutes dernières en date qui remontent à 2017. Une éternité sur Internet. Ces comparatifs prennent généralement un peu plus de temps à traiter que d'effectuer une simple analyse de film. L'une des choses que j'appréciais particulièrement faire, c'était confronter nos doublages francophones, tout simplement parce qu'il y avait une différenciation culturelle assez marquée dans les dialogues et les chansons entre la France et le Québec. Mais ça, c'était avant. Cette particularité s'est depuis étiolée année après année, car Disney France a finalement pris le contrôle total des doublages en français des deux côtés de l'Atlantique. J'ai donc peu à peu perdu le goût de ce qui faisait leurs si agréables, et parfois étonnantes, particularités. En voulant harmoniser les textes, dialogues et chansons, Disney France a plus ou moins tué dans l'oeuf les spécificités québécoises au profit du "parigot" parfois un peu fade, alors que Michael Eisner s'était fait un point d'honneur dès le milieu des années d'offrir des doublages spécifiques aux canadiens francophones, même si celui-ci était en français international standardisé et non en joual. Leur tout premier doublage fut d'ailleurs Qui veut la peau de Roger Rabbit, devenu aussi rare que collector de nos jours, puis Oliver et Compagnie pour les grands classiques de l'animation. En sachant cela, choisir un film tel que WALL•E pour revenir sur ce phénomène semble particulièrement étonnant, dans la mesure où le long métrage des studios Pixar est surtout connu pour ses nombreuses scènes dépourvues de dialogues. Et pourtant ! C'est avec ce film que tout ce bazard francophone a commencé.

Remettons-nous dans le contexte de l'époque. Le groupe Disney est dans la déroute pour ce qui est des longs métrages d'animation. Écrasé par la concurrence devenue très féroce (Dreamworks Animation), mais également par un partenaire de longue date devenu encombrant (Pixar Animation Studios), tous les films d'animation Disney enchaînent les catastrophes au box office. A cela s'ajoute le regard du public, devenu méprisant pour la marque, car celle-ci avait inondé le marché de suites en vidéo de piètre qualité. Il faut attendre l'apaisement puis le rachat du studio Pixar pour que tout soit réorganisé en interne par John Lasseter. A partir de là, un point devient nébuleux et je ne peux en faire que de la spéculation. Il semble qu'à cette même période, Disney USA remet aussi de l'ordre dans les doublages internationaux et confie notamment le doublage francophone des films Disney à Buena Vista International France. Un passage de relais concomitant à la nomination de Jean-Francois Camilleri à la tête du groupe en 2004 qui présidait jusqu'alors presque tous les territoires francophones (France évidemment, Belgique, Luxembourg, Suisse, Maghreb et territoires africains francophones). Il semble logique et naturel que le Québec, qui faisait bande à part jusque là, soit inclus avec les autres dès la réorganisation des studios internationaux en 2007. C'est alors que germe une étonnante idée dans la tête de Disney Character Voice France : pourquoi ne pas mélanger les deux doublages francophones entre eux ? Et c'est alors WALL•E qui est choisi comme premier long métrage doublé avec cette nouvelle caractéristique.

Un phénomène qui passe pourtant totalement inaperçu, tout du moins jusqu'à ce que Disney France se trompe de doublage en incluant la version québécoise dans le DVD français. Une erreur rapidement rectifiée par la mise en place d'un échange de DVD gratuit, mais qui ne fait pourtant pas plus de vague que celà à l'époque. Il faut dire que le film étant très peu bavard, la très grande majorité du public avait seulement détecté le problème aux niveaux des personnages humains, mais aucun n'avait pourtant signalé la bizarrerie des robots. Car le subterfuge est extrêmement habile : ce sont exclusivement des comédiens français qui doublent les robots du film, mais leurs voix sont trafiquées de telle sorte qu'elles émettent un son robotique, ce qui en a fait oublier aux spectateurs que ce sont pourtant bel et bien les mêmes voix en France comme au Québec ! Par la suite, Disney Character Voice France se sert d'excuses pour justifier de la présence de comédiens identiques de part leur notoriété internationale. Cela ne choque par exemple personne que Charles Aznavour soit Carl Fredricksen en 2009, ni que Anthony Kavanagh ou Richard Darbois, tous deux d'origine canadienne mais très connus en France, soient présents dans La princesse et la grenouille. Les années passant, Disney Character Voice France justifie l'uniformisation des chansons (Raiponce, La reine des neiges) pour avoir une seule et même version dans tous les pays francophones, ce qui évite de mettre en émoi un public habitué à "Un nouveau monde" malencontreusement remplacé par un "Ce rêve bleu" quand un remake pointe le bout de son nez des années plus tard par exemple. Dans les faits, ce n'est pas idiot, mais la réalité est quand même bien plus terre à terre. Il ne s'agit pas vraiment de satisfaire le public en proposant des comédiens internationaux, mais bien évidemment de rationaliser les dépenses. Cela coûte bien moins cher de produire une seule version mélangée, plutôt que deux, tout comme on va économiser sur la paye des comédiens et les droits d'auteur des adaptateurs mais sans se priver de certaines subventions, notamment au Québec, qui seraient perdues sinon. Une belle ironie quand on sait que la France s'est dotée à l'époque d'une loi imposant le doublage en Europe pour couper l'herbe sous le pied des doublages québécois qui envahissaient les écrans français.

Pour en revenir à WALL•E, le tout premier film d'animation de l'expérimentation "doublage multi-culturel", ce sont donc pas moins de cinq comédiens français qui sont ainsi imposés dans les deux doublages francophones du film : Philippe Bozo (WALL•E), Marie-Eugénie Maréchal (EVE), Mark Lesser (M•O, le petit robot obsédé par le nettoyage), Patrick Osmond (le pilote automatique AUTO) et un comédien non identifié pour le robot coiffeur-maquilleur PR-T. C'est assez étonnant de se dire que WALL•E possède un doublage français, car les dialogues de l'adorable robot cubique sont finalement assez limités. Pour autant, Philippe Bozo est effectivement nécessaire car WALL•E doit quelquefois prononcer des mots français. Le mixage français est pourtant excellent à ce niveau car les raccords audio avec les bruitages anglophones sont quasiment inaudibles. En vrai, on ne peut réellement faire la distinction que sur certains petits bouts de dialogues, notamment sur la prononciation de EVE, qui est plutôt prononcé "YVEU" en anglais alors que c'est bien "ÈVE" qu'on entend en français. C'est vraiment très bluffant. On retrouve d'ailleurs cette même particularité avec EVE dont les dialogues de Marie-Eugénie Maréchal se mêlent parfaitement avec les bruitages électroniques anglophones du robot. Particularité notable du moment de leur rencontre, où EVE parle en plusieurs langues, le film pioche tout simplement dans les doublages internationaux du personnage, mais en remplaçant l'ordre pour finir avec la langue du film. Assez cocasse. M•O est un cas particulier dans la mesure où le personnage ne parle pas du tout. En réalité Mark Lesser, méconnaissable lui-aussi, est la voix du programme interne du robot qui lit à haute voix les erreurs que l'on voit s'afficher sur son écran de contrôle, une particularité qu'on retrouve aussi dans la version originale et qui nécessitait donc forcément d'être changé en français. De fait, on comprend assez aisément que ces bouts de dialogues étaient si minimalistes et que c'est sans doute la raison qui a poussé Disney Character Voice France à ne pas recourir à des comédiens québécois supplémentaires.

A contrario, le tout dernier personnage robot du film, à savoir AUTO, possède un traitement assez unique dans les deux doublages puisque c'est l'unique personnage robot, sur les cinq, qui bénéficie d'un doublage complet imposé des deux côtés de l'Atlantique. J'ignore ce qui a poussé Disney à imposer Patrick Osmond, mais mon intuition me pousse à croire que c'est une volonté d'homogénéiser les voix de tous les robots du film et ainsi éviter les variations entre les deux doublages. Il faut dire qu'on ne reconnaît absolument pas Patrick Osmond dont le mixage transforme tellement sa voix qu'elle semble quasiment irréelle, voire robotique, ce qui est évidemment l'effet recherché. On n'en vient donc même plus à se poser la question de qui est la voix d'AUTO dans le film, puisqu'elle semble couler de source par rapport aux autres robots du film. En revanche, le reste de la distribution est bien plus marqué. A commencer par Shelby Forthright, alias l'acteur Fred Willard, qui retrouve la voix de Jean-Luc Montminy qui l'avait déjà doublé à trois reprises au Québec avant ce film. En France, sauf erreur, il semble que Hervé Jolly soit un choix arbitraire du directeur de plateau du film puisque je n'ai pas trouvé le comédien français associé au doublage de films de Fred Willard, tout du moins avant celui-ci. Les deux acteurs se valent dans les versions francophones, qui réussissent à donner un air tragi-comique caractéristique au personnage, mais aussi au comédien habitué à ce genre de rôles décalés. Je n'ai pas connaissance du nom du comédien canadien qui prête sa voix aux différentes publicités Axiom et B'n'L, mais c'est Lionel Tua qui officie dans la version française. Là encore, pas de différenciation particulièrement entre les deux interprétations. J'en dirais de même de la voix de l'ordinateur de bord du vaisseau, Mélanie Laberge au Québec et Pascale Clark en France, si ce n'est que certains choix de localisation. La version française choisit par exemple "robot détraqué" en lieu et place de "robot indésirable" au Québec, ce qui change un peu la perception que l'on a de WALL•E et EVE à ce moment là (ils sont surtout fous en France, ce qui fait écho à l'infirmerie robotique, tandis que le Québec assume plus clairement qu'il faut se débarrasser d'eux comme le suggère une partie du film). Notons que les deux comédiennes donnent aussi leurs voix au robot NAC-E (celui qui s'occupe des bébés).

Pour le Capitaine B. McCrea, les deux doublages font appels à des valeurs sûres, Thiéry Dubé (Québec) et Emmanuel Jacomy (France) sont des voix très connues sur chaque territoire. En dehors de leurs timbres vocaux totalement différents qui donnent un côté plus juvénile au Capitaine au Québec et plus âgé en France, les deux interprétations du personnage se rejoignent quant à la façon de donner un côté benêt au Capitaine. Le long métrage semble s'amuser à dépeindre le personnage comme un capitaine de pacotille, comme d'ailleurs tout le reste de la population humaine qui est complètement assouvie aux machines. On est presque dans une version délurée de Matrix où les humains sont, au contraire du film avec Keanu Reeves, totalement satisfaits ne de plus avoir la moindre conscience personnelle. Remarquons toutefois que Thiéry Dubé et Emmanuel Jacomy parviennent à donner une belle assurance au Capitaine quand celui-ci décide de se rebiffer. Terminons enfin avec les deux derniers personnages dont les dialogues sont crédités dans le film (il y a beaucoup de voix d'ambiance qui ne sont pas identifiées mais différentes au Québec et en France), à savoir Mary et John.  En France, Brigitte Virtudes apporte un côté un peu déluré au personnage, ça lui convient bien, alors que Julie Saint-Pierre au Québec lui donne un côté émerveillée qui fonctionne tout aussi bien. C'est complètement l'inverse pour John où Yves Soutière lui donne un côté foufou au Québec, tandis que Jean-François Aupied semble complètement dépassé par la situation en France. Mais dans les grandes lignes, il est difficile de juger plus loin leurs interprétations à tous les quatre, dans la mesure où chacun parle finalement assez peu.

Au final, WALL•E a été en 2009 une occasion pour Disney France d'expérimenter la possibilité de mélanger des comédiens français et québécois, ce qui était à l'époque une grande première et, à ce jour, toujours un cas unique dans le monde. Par exemple, si l'on se penche sur le cas de nos voisins espagnols qui vivent la même situation avec deux doublages différents selon le territoire, aucun film d'animation n'a eu la même idée de mélanger des comédiens d'Amérique latine et Européen. Les seuls cas avérés sont des choix assumés, notamment Coco qui n'existe qu'en version mexicaine pour renforcer le thème coloré du film, ou encore Encanto dont les comédiens américains sont tous simplement bilingues et ont donc été conservés tels quels dans les doublages espagnols. De fait, ce mélange multi-culturel des doublages est une caractéristique totalement unique en son genre dans le monde du doublage des films Disney. Et c'est donc WALL•E qui a ouvert le bal en 2009, justifié par le principe même du long métrage qui fait des dialogues une part très secondaire de l'intrigue !

Nota Bene : La liste des comédiens ayant contribué à ces doublages francophones est disponible dans la fiche dédiée du film. Merci de vous y reporter.

Olivier J.H. Kosinski - 24 mars 2024