Analyse de l'oeuvre
Du haut de ses 45 ans, la chaîne de télévision américaine Nickelodeon peut se targuer de compter à son actif beaucoup de productions animées qui ont marqué leur temps, surtout à partir des années 1990 où la chaîne s'est lancée dans la production de ses propres séries originales. Certaines sont sorties du lot au point de devenir des phénomènes de sociétés intergénérationnels : Les Razmoket, Jimmy Neutron, Bob l'éponge, dans une moindre mesure Dora l'exploratrice pour un public plus jeune et, parmi les plus récentes, Bienvenue chez les Loud qui fait le bonheur des audiences de la chaîne française Gulli. Comme d'habitude avec ce genre de succès surprises qui perdurent dans le temps, il reste assez difficile de cerner ce qui permet de réunir autant de spectateurs autour d'elles. Bienvenue chez les Loud est une série originale qui a fait une entrée assez fracassante dans l'univers télévisuel dès sa première diffusion en 2016, enfants et adultes ont pour la plupart adhéré immédiatement au concept. Le pitch est pourtant des plus banals : un garçon unique vivant des péripéties parmi une fratrie comptant dix sœurs aux caractères très variés. Toutefois, l'une des caractéristiques de la première saison était d'avoir instauré un grand mystère autour de l'identité de leurs parents dont le visage était masqué jusqu'au tout dernier épisode de la première saison, ne les révélant que dans le premier épisode de la saison 2. Dans tous les cas, Bienvenue chez les Loud s'aventure sur le terrain des séries loufoques, tout en traitant de sujets plus sensibles avec pertinence. La série animée s'est ainsi souvent lancée dans des intrigues souvent à contre-courant de la majorité des productions de son époque. Ce succès fulgurant va donner des ailes à leurs auteurs, malgré certaines crises internes que j'évoque dans l'analyse du long métrage, au point de passer par la case inévitable de la série dérivée.
À peine deux années plus tard, avec un succès jamais démenti, Nickelodeon donne son aval pour créer une deuxième série animée qui s'inscrit dans le même univers. Pour cela, les auteurs vont doucement préparer le terrain de ses spectateurs. En premier lieu, l'idée est lancée en faisant quitter la scène de Royal Wood à un personnage au beau milieu de la saison 2 : Ronnie Anne Santiago. Ronnie Anne est une jeune fille latino-américaine du même âge que Lincoln Loud. Leur relation, plutôt conflictuelle au début, a cependant souvent été montrée dans le sens d'un étonnant jeu de séduction entre eux. Beaucoup de fans de la série animée ont toujours voulu savoir si ces deux là finiraient un jour ensemble. Plusieurs épisodes de la seconde moitié de la saison 2 puis la saison 3 verront occasionnellement le retour de Ronnie Anne mais, conformément aux habitudes des scénaristes de Bienvenue chez les Loud qui n'ont jamais vraiment suivi les desiderata des fans, leur relation est toujours restée avant tout platonique et amicale. Les deux gagnants toutefois une certaine forme de respect mutuel, là où ils étaient surtout en conflit au début de la série. En second lieu, les équipes de Bienvenue chez les Loud vont peu à peu proposer plusieurs porte-dérobées afin de tester les retours des spectateurs. Ainsi, hormis les épisodes des saisons 2 et 3, marquées par le retour de Ronnie Anne et son immense famille, les auteurs vont carrément lancer leur nouvelle série au sein même de Bienvenue chez les Loud ! Les cinq premiers épisodes de la saison 4, diffusés à partir du 13 juin 2019 aux Etats-Unis, zappent carrément le retour de la famille Loud à l'écran (dont les personnages sont réduits à de simples caméos), au profit de 10 intrigues spéciales (chaque épisode comptant deux histoires) exclusivement centrées autour des Casagrandes.
Ce grand test nature est finalement concluant, si bien que Bienvenue chez les Casagrandes fait ses premiers pas à l'écran dès le 19 octobre 2019, le même jour qu'est diffusé habituellement Bienvenue chez les Loud, les deux programmes ne rentrant donc pas en confrontation frontale, mais diffusés l'un à la suite de l'autre afin de capter le même public sur les deux séries. Déjà largement définie dès le mois de juin, dans le cadre de la projection spéciale au sein de la série mère, Bienvenue chez les Casagrandes propose à peu près le même principe que son aînée. A savoir une grande famille assez bigarrée tournant autour d'un jeune pré-adolescent noyé sous la masse. La seule différence fondamentale résidant dans l'âge des divers protagonistes. Loud est ainsi confronté à ses soeurs dont les âges sont tous situés entre le bébé et la jeune majeure de 18 ans. Ronnie Anne est au contraire entourée de personnages dont une grande majorité d'entre eux sont principalement adultes. Mais sur le principe, Bienvenue chez les Casagrandes reste assez proche dans son approche narrative, comme visuelle, de Bienvenue chez les Loud, si ce n'est qu'elle prend un malin plaisir à tordre le coup des clichés latinos, tout en y apportant un folklore souvent dénué du moindre sens logique. La débordante et exubérante famille de Ronnie Anne va, dès lors, trouver son public. Hélas, bien que qualitativement acclamée comme son aînée, Bienvenue chez les Casagrandes ne s'avèrent finalement pas aussi populaire que prévue. Le couperet finit par tomber en 2022, Nickelodeon ne souhaite pas renouveler l'aventure, lui préférant le remake de son aînée version live action : Une famille vraiment Loud. La série dérivée s'arrête alors le 30 septembre 2022, au bout de 70 épisodes répartis en 3 saisons. Depuis lors, les personnages ont été rapatriés dans Bienvenue chez les Loud, où ils font parfois quelques apparitions.
L'aventure de Bienvenue chez les Casagrandes aurait pu s'arrêter là, si ce n'est le succès inattendu que va rencontrer Bienvenue chez les Loud, le film sur Netflix en 2021. Le long métrage n'était à l'origine pas destiné à être proposé sur la plateforme de vidéo à la demande, puisque Nickelodeon envisageait d'en faire un film de cinéma. Mais les soucis internes, auxquels vont s'ajouter par dessus la pandémie mondiale, ont fini par le faire échouer en ligne où il rencontre toutefois un énorme succès auprès des fans, un peu moins du côté des critiques. Dès lors, à la vue de ces appétissants résultats, la série Bienvenue chez les Casagrandes, à peine achevée et pas encore tout à fait oubliée, renaît de ses cendres via un communiqué officiel le 4 avril 2023 annonçant la mise en chantier d'un long métrage. C'est Miguel Puga qui a la charge de diriger ce nouveau long métrage. D'abord entré comme storyboarder de plusieurs épisodes des trois premières saisons de Bienvenue chez les Loud, il prend la tête de Bienvenue chez les Casagrandes dès 2018 où il va contribuer à de nombreux épisodes et y imposer son style. Épaulé par quatre scénaristes (Tony Gama-Lobo, Rebecca May, Lalo Alcaraz, Rosemary Contreras), ils imaginent une intrigue fortement influencée par la culture mexicaine et le folklore des anciens peuples indigènes d'amérique latine, notamment les légendes Aztèques, Mayas, Olmèques et Incas. Pour justifier tout le côté abracadabrant du scénario, un lien familial est tissé entre Ronnie Anne et ces divinités magiques auxquelles elle va être confrontée. Dans la grande tradition des séries pour ados, le scénario insuffle l'inévitable conflit inter-générationnel entre elle, sa mère, mais également sa grand-mère mexicaine.
Même si Bienvenue chez les Casagrandes, le film s'avère très prévisible dans son déroulement, notamment la plupart des rebondissements que l'on voit venir avant même que le film ne commence, il faut admettre que celui-ci est vraiment très efficace et parfaitement calibré pour Ronnie Anne. Elle a toujours été beaucoup plus tête brûlée que Lincoln, de fait cette aventure plus énergique (et sans chansons) lui convient d'autant mieux, même si affronter des divinités mexicaines antiques est tout autant tiré par les cheveux qu'assez classique dans les fictions américaines. Seule variation notable, il n'est cette fois pas vraiment question de momie Inca qui reviendrait à la vie (j'en vois déjà qui se remémorent un épisode de Buffy contre les vampires sur ce thème par exemple), mais d'une divinité emprisonnée, ce qui est finalement quasiment la même chose, la putréfaction de l'antagoniste en moins. Cependant, il faut admettre que la relation miroir entre Punguari et Ronnie Anne fonctionne. Entre les non-dits et les quiproquos, Bienvenue chez les Casagrandes, le film tente à sa manière de rétablir le contact entre mères et filles. Je dois d'ailleurs avouer que j'avais des craintes quant au traitement de la famille Casagrandes dans le long métrage. Bien qu'ils soient effectivement tous réduit à des faire valoir de luxe, je reconnais qu'ils apportent tous à leur manière une pierre à l'édifice narratif. Tous ont leur moment de gloire, y compris le cas spécifique du père de Ronnie Anne, absent de l'aventure comme c'est déjà le cas de la série télévisée où il vit séparé, et transformé ici en de grands moments burlesques.
Peut-être un peu moins rafraîchissant que l'était Bienvenue chez les Loud, le film à sa sortie, dont il ne peut de toute façon pas reproduire le côté inédit de la chose, Bienvenue chez les Casagrandes, le film s'avère finalement tout aussi plaisant à suivre que son prédécesseur. On se retrouve à nouveau totalement en terrain connu, avec exactement le même style graphique narratif et, bonne pioche, les mêmes comédiens français que la série télévisée. Le long métrage est un très joli cadeau fait aux fans de la franchise, qui devrait combler toutes leurs attentes. C'est peut-être un peu moins le cas des non connaisseurs, qui seront perdus par les relations familiales des Cassagrandes mais, dans l'ensemble, Bienvenue chez les Casagrandes, le film fait passer un très agréable moment à ses spectateurs.
Olivier J.H. Kosinski - 27 avril 2024
