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Sesame Workshop
Follow That Bird

Follow That Bird est le premier long métrage tiré de l'émission américaine pour la jeunesse Sesame Street. Il sort en salles aux Etats-Unis le 08 août 1985 où il essuit un revers face à d'autres grosses sorties sur la période. Contrairement à ce qu'avancent plusieurs sites francophones qui évoquent une date, le long métrage n'a jamais été proposé au cinéma en France comme l'atteste son absence d'immatriculation au registre du cinéma et de l'audiovisuel. Sauf diffusion au Québec ou à la télévision française, dont on ne trouve aucune trace actuellement, il semble n'avoir jamais été doublé en français non plus.

L'intrigue

Big Bird est envoyé vivre loin de la rue Sésame par une assistante sociale acariâtre nommée Miss Finch. Malheureux, il s'enfuit, ce qui incite le reste de la bande de la rue Sésame à entreprendre un voyage à travers le pays pour le retrouver...

Analyse de l'oeuvre

Si vous connaissez la chanson interprétée par France Gall en 1964, devenue comptine depuis lors, vous n'aurez aucun mal à répondre à cette question : Qui a eu cette idée folle, un jour d'inventer l'école ? Si l'on passera sur l'inexactitude historique de la réponse et le fait que je vous ai collé dans la tête un refrain aussi diabolique que "It's a Small World" (double combo gagnant pour parasiter votre esprit pour la journée), saurez-vous également me dire qui vous a abruti de programmes télévisés éducatifs devant lesquels vos parents ont pris un malin plaisir à vous flanquer quand vous étiez enfants ? Il y a de fortes chances que vous n'en connaissiez pas la réponse. Et quel rapport avec une analyse de film qui plus est me direz-vous ? Cela a tout à voir ! Car Follow That Bird est le premier long métrage dérivé de Sesame Street par qui tout ce bazard ludo-éducatif a commencé ! Pour mieux situer le contexte, reprenons depuis le début. Sesame Street est une émission télévisée, toujours diffusée actuellement, qui a été lancée à la télévision américaine le 10 novembre 1969 sur le réseau de télévision public National Educational Television, aujourd'hui disparu et remplacé par Public Broadcasting Service. Une longévité assez exceptionnelle, puisque Sesame Street a dépassé les 50 ans, faisant d'elle l'une des plus anciennes émissions télévisées américaines toujours en cours de production. Sa principale particularité est d'avoir révolutionné le paysage des émissions pour enfants, car elle fut la toute première à concevoir un vrai programme éducatif, avec un parcours construit de façon progressive, à destination du jeune public. L'émission a été plusieurs fois adaptée en français, mais la sauce n'a jamais vraiment pris, principalement par la faute du plus célèbre français Casimir.

Le concept de Sesame Street est, dès ses origines, un concept très ambitieux. Il faut ainsi trois longues années de pré-production, à la suite de l'initiative de deux hommes dès 1966, le producteur de télévision Joan Ganz Cooney et le vice-président de la Fondation Carnegie Lloyd Morrisett. Les deux hommes se disent qu'il serait intéressant d'utiliser le puissant média télévisuel pour offrir un nouveau genre de spectacle qui parviendrait à instruire le jeune auditoire. C'est une idée qui part d'un vrai constat, car de nombreuses classes sociales américaines étaient à l'époque exclues du système scolaire, tandis que d'autres enfants se retrouvaient en situation de décrochage ou d'échec. Le projet est si conséquent qu'il demande un travail très méticuleux de préparation. Si bien que les deux hommes doivent s'entourer d'une ribambelle de professionnels de la santé, de l'éducation (Gerald S. Lesser) mais également des auteurs (plus de 15), des compositeurs et même des artistes (Jim Henson, Frank Oz) pour donner vie aux personnages. Cette phase préparatoire est si méticuleuse qu'elle engendre un coût financier assez important, ce qui provoque autant d'attente autour de la diffusion du programme que de l'incompréhension sur ce nouveau concept jugé casse-gueule. Pourtant, contre tous les pronostics de l'époque, Sesame Street devient un énorme succès. Bien que Kermit soit né plus d'une décennie plus tôt, c'est également Sesame Street qui va offrir un pont en or aux célèbres Muppets, qui finiront par s'émanciper de leur côté, mais sans jamais renier leurs origines. Tout au long de leurs carrières parallèles, jusqu'au rachat par Disney qui y mettra un terme, Sesame Street et les Muppets s'invitent ainsi régulièrement dans leurs programmes respectifs.

Mais c'est bien les Muppets qui va leur rafler le prestige d'être les toutes premières poupées de chiffon à se voir offrir un long métrage sur grand écran. Deux autres longs métrages vont suivre, chacun d'eux offrant d'ailleurs un moment spécialement dédié à Sesame Street. Big Bird apparaît dans Les Muppets, le film, tandis que La grande aventure des Muppets ouvre son intrigue directement dans le studio même de Sesame Street, pendant que Les Muppets attaquent Broadway offre une apparition finale à une très grande partie de leurs personnages. Un juste retour de choses, puisqu'ils sont logiquement invités en tant que famille du marié, Kermit, qui a fait ses grands débuts dans le programme pour enfants. Le succès des trois longs métrages est tel que cela donne naturellement envie à l'équipe de Sesame Street d'en proposer un à leur tour. Pour cela, Sesame Street voit les choses en grand en construisant carrément un nouveau plateau de cinéma permettant d'agrandir la célèbre rue historique. Plus large, afin de permettre de faire apparaître de nombreux personnages et comédiens, Sesame Street se dote d'une caserne de pompiers, d'un magasin de musique, d'un atelier d'automobiles, d'une boulangerie, d'une clinique, d'une épicerie et d'une librairie. Autre nouveauté, la production du long métrage est en partie délocalisée dans la province canadienne d'Ontario pour les scènes dans le monde réel. Quant au scénario ? L'idée est adoptée d'éloigner le célèbre gros oiseau jaune loin de Sesame Street , Big Bird de son nom original et premier personnage à apparaître dans l'émission en 1969, puis que celui-ci, qui se morfond dans cette nouvelle vie qu'il n'apprécie pas, prend la poudre d'escampette pour retourner chez lui. Dès lors, complètement lâché dans la nature, tout le monde se met à la poursuite de Big Bird, chacun avec une raison précise en tête, bonne comme mauvaise. D'où le titre original du film, Follow That Bird, que l'on pourrait traduire par "Sur les traces de l'oiseau" ou "À la poursuite de l'oiseau", plutôt que le trop littéral "Suivez cet oiseau" que l'on trouve de-ci de-là sur Internet.

Il est assez intéressant, tout comme troublant, de découvrir Follow That Bird quarante ans après sa réalisation. Parce que son thème résonne encore aujourd'hui comme très contemporain. Le pitch de départ du long métrage se base sur un constat. Une soi-disant experte proclame qu'il est anormal que Big Bird vive éloigné de toute présence d'autres oiseaux à Sesame Street. Sans le connaître, ni même prendre le temps de le rencontrer, elle décide d'arracher Big Bird de son paisible cadre de vie pour l'envoyer de force dans une famille d'accueil de l'autre côté du continent américain. A notre époque où la question épineuse de l'inclusion sociale s'est muée en champ de bataille où beaucoup se mêlent de tout sans qu'on leur demande, on retient la similarité incongrue de la situation dans le long métrage. Ici, une seule personne décide arbitrairement, parce qu'elle a proclamé que c'était comme ça et pas autrement, de détruire une vie qui allait pourtant très bien avant son intervention. Dès lors, Big Bird devient un phénomène de foire malheureux, chacun voulant le récupérer pour son propre intérêt personnel : Miss Finch parce qu'elle a la science infuse, la famille Dodo parce qu'elle se sent quelque peu humilié que Big Bird ait filé en douce, les frères Sleaze parce qu'il peut rapporter gros en monstre de foire. Et pendant ce temps Big Bird, qui veut juste rester lui-même, se morfond en désespérant pouvoir retourner un jour chez lui. Mais la tâche est ardue, d'autant que le personnage n'a "psychologiquement" que 6 ans (depuis 1969, c'est la magie des programmes pour enfants) et qu'il se retrouve perdu au milieu de nulle part. Il ne peut compter que sur la bonne fortune et les hasards de belles rencontres, toutes en liens avec des enfants, pour s'en sortir.

De fait, Follow That Bird s'avère plus mature dans son approche que l'est l'émission Sesame Street. Le propos s'avère finalement plutôt dur pour un jeune public, tandis que l'aventure un peu décomplexée s'avère au contraire parfois trop légère pour un adulte. Il faut véritablement prendre du recul face au scénario du film. Pas tout à fait éducatif, pas tout à fait narratif, pas tout à fait drôle, pas tout à fait morose, Follow That Bird fait un jeu d'équilibriste assez délicat dont il faut tenir compte pour se laisser entraîner par lui. Malgré les moyens déployés, il ne faut pas s'attendre à une grosse expérience cinématographique, le long métrage est qualitativement plus proche d'un téléfilm que d'un vrai film de cinéma, son format de tournage original en 4/3 tendant d'ailleurs à renforcer ce sentiment (le film ayant été recadré pour la projection en salle). Il est également préférable de garder un esprit enfantin avant de se lancer dans l'aventure car, sans préparation aucune, il est indéniable que Big Bird s'avère un personnage assez déstabilisant. Bien que j'avais déjà eu l'occasion de l'apercevoir dans d'autres productions, comme le Muppets Show par exemple, ce n'est qu'à travers Follow That Bird que j'ai appris que Big Bird était simplement un enfant, parmi tous les autres, que compte Sesame Street. La plupart de ses réactions s'avèrent alors plus logiques, je trouve ça bien pratique que le long métrage ait pris le temps de l'expliquer. Il faut également saluer la performance de Caroll Spiney, le comédien qui se cache sous le costume et lui prête sa voix, qui réussit à rendre le personnage très attachant avec une mention spéciale vers la fin du film où Big Bird, perverti par les frères Sleaze, se met en chanter son désespoir.

Comme les Muppets et Sesame Street avant lui, Follow That Bird est lui aussi avant tout une grande expérience musicale. Le long métrage compte ainsi neuf chansons, dix si l'on compte celle proposée dans l'album, dont neuf sont des créations originales pour le film (la dernière étant simplement la reprise du générique de Sesame Street). Leurs styles sont assez variés tout en faisant intervenir plusieurs interprètes différents. On y entend un titre nostalgique qui parle plus qu'il ne chante ("Big Bird's Goodbye"), une chanson drôle qui retourne littéralement la tête ("Upside Down World", avec Jim Henson et Frank Oz - excusez du peu -), une chanson crève-coeur ("I'm So Blue"), trois titres entêtant qu'auraient très bien pu écrire les frères Sherman pour Disney ("The Grouch Anthem", "Workin' on My Attitude" et, surtout, le très bon "Easy Goin' Day"), une très belle balade qui relie le coeur des personnages à distance ("One Little Star") et enfin, ce que je considère comme le meilleur titre du film, équivalent à mon sens au célèbre "Rainbow Connection" de Les Muppets, le film, le titre country "Ain't No Road Too Long" qui intervient à mi-chemin du film et se prête parfaitement au style road movie du long métrage. Un sentiment visiblement partagé par l'équipe artistique, puisque c'est le même Waylon Jennings, apparaissent dans le film aux côtés de Big Bird, qui interprète la chanson supplémentaire de l'album "All Together Now".

Malgré le succès de Sesame Street à la télévision auprès des enfants, Follow That Bird essuie une grosse déconvenue au box office qui met, un temps, rudement à mal les finances l'organisation à but non lucratif Sesame Workshop. Ce qui explique sans doute qu'aucun autre long métrage dérivé n'a été produit jusqu'en 1999. Il avait pourtant été plutôt bien accueilli par les critiques et les spectateurs, mais c'est à partir de sa sortie en vidéo que le film s'est mué en film culte aux Etats-Unis. Difficile aujourd'hui d'expliquer pourquoi il a connu un tel échec cinématographique, car il n'est pas si mauvais que ça. Certains avancent que Follow That Bird a dû faire face à une très lourde concurrence devant une abondance de gros films durant l'année 1985. Le long métrage est en effet sorti en période estivale, où l'on pouvait voir sur grand écran des classiques très attendus, même si tous n'ont pas été des succès, tels que Les Goonies, Vampire, vous avez dit vampire ?, Retour vers le futur, Explorers, Mad Max - Au-delà du dôme du tonnerre, Taram et le chaudron magique ou encore Pee-Wee Big Adventure. En France, contrairement à ce que la plupart des sites francophones laissent à penser, Follow That Bird n'est jamais sorti au cinéma, en témoigne son absence d'immatriculation dans le registre du cinéma et de l'audiovisuel actuellement tenu par le CNC. J'ignore d'où provient cette date du 18 septembre 1985 que l'on retrouve partout. Il existe tout autant de doutes concernant son hypothétique doublage en français, dont on ne trouve aucune trace actuellement, ce qui renforce d'autant plus l'absence de distribution au cinéma (le doublage étant une obligation légale pour obtenir un visa d'exploitation en France). Il est peut-être possible, par contre, que le film ait été doublé pour une diffusion télévisée, ou bien au Québec, mais là encore, il semble bien que Follow That Bird soit totalement inédit dans la langue de Molière.

Moins percutant que la trilogie des Muppets qui l'a précédée, mais ne s'adressant pas du tout au même public, Follow That Bird est une expérience visuelle et auditive assez insolite, qui compte d'ailleurs quelques moments d'animation en 2D de bonne facture, surtout quand on ne connaît presque pas Sesame Street. Si vous vous lancez dans l'aventure, gardez bien à l'esprit que cela n'a absolument rien à voir avec les Muppets qui sont plus mordants et adultes dans leur approche humoristique. Ici, on est dans une démarche à volonté éducative, qui aide à transmettre de bonnes valeurs aux jeunes spectateurs, autour d'un emballage ludique bien qu'un peu plus mature à suivre que Sesame Street. On notera aussi au passage que c'est la dernière fois sur grand écran que Jim Henson joue Kermit dans un long métrage, ainsi que leur avant-dernière apparition commune puisque toutes les marionnettes referont un dernier tour de piste ensemble dans Le Noël des Muppets, avant le décès de Jim Henson et le rachat de ses personnages par Disney quelques années plus tard. Au final, Follow That Bird est une aventure gentillette, plutôt sympathique, avec quelques bonnes idées, de bonnes chansons et une thématique forte encore beaucoup trop d'actualité.

Olivier J.H. Kosinski - 19 mai 2024

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