Analyse de l'oeuvre
Hasard de calendrier, puisque cela fait quelque temps que je voulais l'aborder, Tante Hilda ! est un long métrage qui traite de l'agriculture et des dérives du capitalisme, avec une touche de manipulation génétique en supplément. Un combo gagnant au coeur d'une actualité récente, alors que ce n'était pourtant pas du tout préméditée. Tante Hilda ! est un long métrage que je voulais aborder depuis de nombreuses années, puisque je l'ai découvert à l'origine lors de sa toute première diffusion télévisée en fin de soirée du 31 octobre 2017 sur France 3 alors que j'avais noté sur un programme TV qu'il s'agissait d'un film d'animation, sans plus de précision. Celui-ci m'avait particulièrement marqué, non pas pour son discours écologique, bien que très prononcé, mais surtout pour sa très belle esthétique. Pour autant, j'ai renvoyé son analyse aux calendes grecques, jusqu'à ce que je réalise tout récemment que j'avais originellement décidé d'inclure ce film au site dès 2019. Cinq ans plus tard, pour les 10 ans du film, j'ai décidé de revoir Tante Hilda ! dans de bien meilleures conditions. J'avoue l'avoir tout autant apprécié qu'à l'époque, en le revoyant assez ironiquement avec, en regard, le monde actuel agricole aux abois. Les réalisateurs Jacques-Rémy Girerd et Benoît Chieux ont-il proposé une vision étonnamment prémonitoire, comme le font les célèbres Simpson ? Non, pas vraiment, ils n'ont fait que constater et tirer fortement le trait d'une réalité économique implacable : le capitalisme gouverne notre monde, dont le film en tire une savoureuse caricature. Parce que tout le propos du film part d'une idée originellement altruiste, mettre un terme à la famine dans le monde entier. Mais la société DOLO va s'échiner à mettre l'altruisme en boite afin d'en faire un succulent fond de commerce. En toute logique, tout va évidemment complètement partir en cacahuète jusqu'à renverser la situation mondiale en une catastrophe à grande échelle.
Ainsi, Tante Hilda ! commence avec un propos assez réaliste, avec Hilda qui est à la fois une militante et une écologiste. Même si le long métrage ne le précise pas avec certitude, il semble aussi évident qu'elle est chercheuse puisqu'elle a une très grande connaissance du milieu scientifique, tout comme il semble évident que l'immense serre où elle vit ressemble à un milieu naturel expérimental dont elle prend soin. A l'opposée, il y a Dolorès dont le monde végétal n'est qu'une immense source de profit. Tout ce qui l'intéresse dans la vie est de faire du chiffre, peu importe les moyens employés, qui vont de la dissimulation aux pots de vins. Entre les deux se trouve le pauvre Michaël, dont la bonne volonté première de créer une plante génétique modifiée se trouve rapidement bafouée par son associé qui préfère cacher sous le tapis ses propriétés instables. Dès lors, suite à une crise de nerfs d'Hilda qui les envoie tous deux en prison, Michaël se voit dépouillé de sa création dont les dangers sont réels puisqu'il n'a pas eu le temps d'en stabiliser la formule. Dès lors, la situation échappe à tout contrôle, car plus personne ne peut désormais s'opposer à l'Attilem, cette plante révolutionnaire qui va rapidement devenir une menace pour le monde végétal.
Au delà de son parti-pris écologiste assumé, ce qui marque surtout avec Tante Hilda !, c'est principalement son choix esthétique. Hormis la première partie de l'intrigue, le long métrage s'aventure sur un terrain fantastique, comique et merveilleux où les plantes finissent même par avoir une conscience. Le dessin est incontestablement un superbe atout qui sublime vraiment l'ensemble. On a ainsi constamment l'impression de consulter un livre de botanique illustré qui prend vie à l'écran. Tante Hilda ! mixe des dessins tracés au stylo bille à une colorisation proche de la peinture à l'eau. Les réalisateurs font également le choix audacieux de prendre à rebours le principe de l'animation en restreignant le nombre de dessins affichés chaque seconde. Cela donne assez régulièrement une impression saccadée qui, curieusement, ne gêne pourtant en rien l'appréciation de l'intrigue. C'est d'autant plus impressionnant lorsqu'on a l'idée de mettre en pause le film. On se rend alors compte que Tante Hilda ! compte en réalité des milliers de magnifiques dessins dont chacun est une oeuvre à part entière. C'est bluffant !
Sous ses airs politico-écolos, Tante Hilda ! est surtout une aventure très fantasque qui permet aux spectateurs de vivre une expérience sensorielle extraordinaire. On se laisse embarquer dans l'aventure qui multiplie l'autodérision et les comiques de situations. Il faut dire que les dialogues sont de qualité, avec de nombreuses piques humoristiques, comme la plupart des personnages sont franchement savoureux, y compris dans les rôles secondaires. La bande originale de Serge Besset n'est pas en reste, puisqu'elle accompagne très harmonieusement le fil de l'histoire. Bref, Tante Hilda ! reste avant tout un long métrage très divertissant.
Olivier J.H. Kosinski - 04 février 2024
Tante Hilda !