The Guardian Brothers est un film d'animation chinois distribué à l'international par Netflix, d'abord au Québec le 01 septembre 2017, puis en France le 17 décembre 2017. Il est également disponible en Belgique et Suisse depuis octobre 2018. Dans tous les cas, il est proposé exclusivement en version française. Netflix propose malheureusement le film mondialement dans une version complètement repensée et amputée de 21 minutes par rapport à la version originale chinoise.
Peu à peu, les traditions ancestrales ont perdues leurs influences si ce n'est d'être détournées dans quelques fêtes purement folkloriques, car le monde des hommes a oublié le monde des esprits. Yu Lei et Shen Tu s'ennuient quelque peu de ne plus voir personne souhaiter leur aide. Ils n'ont désormais de fonction de gardien que le titre. Mais lorsque la famille chinoise qu'ils sont censés protéger voit leur restaurant menacé par un concurrent, les deux frères gardiens reprennent finalement du service, mais en suivant deux voies bien différentes...
Depuis quelques années, on assiste à une véritable émergence de l'animation chinoise, sous différentes formes. La principale étant celle de l'alliance sino-américaine, à l'image de Dreamworks Animation qui avait noué un partenariat afin de mieux faire percer leurs films en Chine. La raison principale de ces divers rapprochements est évidemment purement économique, l'industrie du cinéma ne pouvant désormais quasiment plus dégager de bénéfices substantiels sans avoir le soutien du public chinois. Ceci sans compter bien entendu la commission de censure que les grands groupes américains tentent, par tous les moyens, de se mettre dans la poche au risque de voir définitivement bannis leurs productions sur leur territoire. Toujours est-il que désormais, compétences assimilées et acquises, les productions cent pour cent chinoises volent de plus en plus fréquemment de leurs propres ailes. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elles proposent souvent des concepts rafraîchissants au niveau de leurs histoires, même si elles restent très formatées, car elles puisent leurs origines presque exclusivement dans les mythologies chinoises, peu voire pas du tout exploitées en occident.
C'est précisément le cas de The Guardian Brothers qui élabore son idée générale à partir de la tradition des Menshen, plus communément appelés les Dieux des Portes, dont on trouve généralement leurs représentations sur les portes à battant double des anciennes maisons chinoises. Dans les représentations courantes, les Menshen sont traditionnellement deux guerriers armés qui se font face et qui jouent le rôle de gardien en protégeant les habitants de l'infortune tout en refoulant les esprits maléfiques au seuil de la porte d'entrée. De nos jours, comme beaucoup de traditions orientales et occidentales, les dieux gardiens sont globalement tous tombés en désuétude, si ce n'est de les retrouver dans les fêtes folkloriques et comme appel au tourisme. The Guardian Brothers part donc de ce postulat bien contemporain pour nourrir son intrigue : le monde des hommes et celui des esprits sont désormais totalement déconnectés entre eux. Tandis que les hommes vivent leur vie comme bon leur semble sans plus jamais chercher à faire appel aux anciennes divinités, les dieux, au contraire, sont en quête d'une nouvelle existence. Comme le monde des hommes n'a plus besoin d'eux, ils doivent prendre une décision pour continuer d'exister. Ils prennent alors une décision radicale, rompre toute relation avec le monde humain. Si ce choix n'est pas totalement rejeté par Shen Tu, son frère Yu Lei va au contraire précipiter sa décision de réveiller le Nian, un esprit maléfique seul capable de réunir à nouveau esprits et humains.
Si le postulat de départ est le même dans la version chinoise originale et la version internationale produite par les américains, la suite de l'intrigue varie malheureusement énormément l'une par rapport à l'autre. Retournant à leurs plus infâmes habitudes, les Etats-Unis ne peuvent pas s'empêcher de saccager une oeuvre non produite sur leur territoire, massacrant dès lors littéralement la portée initiale du long métrage en l'infantilisant à outrance et en sacrifiant au passage pas moins de 21 minutes de The Guardian Brothers. En remaniant en profondeur le scénario et les dialogues, la version internationale propose un scénario particulièrement décousu, abscons, tout en lui octroyant une histoire totalement manichéenne sans plus la moindre subtilité. Pour une raison assez inexplicable, la version internationale laisse même entendre, plus ou moins, qu'un complot sinistre se joue dans la communauté des esprits afin de parvenir à refermer leur lien avec la communauté humaine, alors que cela n'est pas le cas de la version originale où les divinités cherchent juste à trouver un nouveau sens à leur vie sans eux. Il y a d'ailleurs tellement de coupures que la version internationale s'oblige à avoir recours à une narratrice, Meryl Streep en l'occurrence pour la version anglophone, pour tenter d'expliquer maladroitement tout ce qui a été rendu totalement incompréhensible par ce remaniement narratif. Le constat est tel qu'une fois la version internationale terminée, on n'a littéralement pas du tout compris ce que le film était censé raconter, particulièrement le rôle du Nian, transformé ici en une sorte de boss final de jeux-vidéo qui aurait été placé là sans le moindre contexte.
Lorsque l'on découvre The Guardian Brothers dans sa version originale, dès les premières minutes, le ton adopté par le film est radicalement différent. Plus poétique dans son approche, le long métrage prend vraiment le temps de développer ses personnages, particulièrement les frères gardiens Shen Tu et Yu Lei, tout en évitant l'écueil de l'univers manichéen. Là où la version internationale fait le choix de proposer une histoire opposant bêtement les gentils aux méchants, la version originale ne propose en réalité absolument aucun véritable personnage profondément mauvais, à l'exception notable du restaurateur Rogman mais qui sert avant tout de ressort comique au film, plus que comme une menace crédible. La version internationale, y compris pour la version française, change radicalement le comportement de nombreux personnages. Yu Lei y est par exemple représenté comme un être arrogant, imbu de lui-même, cherchant désespérément à être à nouveau aimé par les hommes. Ce qu'il n'est absolument pas dans la version originale. La version internationale passe également sous silence le fait que la peur et le désespoir, cachés au fond des coeurs de tous les personnages, sont principalement à l'origine de l'apparition du Nian. La version internationale a également le désavantage de déporter le rôle principal du film sur les épaules de la jeune Rain, alors que ce sont bien évidemment les deux frères gardiens qui sont les principaux protagonistes d'un long métrage qui porte leur fratrie pour titre. Pour y arriver, de nombreux moments intimes et plusieurs quiproquos cocasses (dont une amusant longue scène en boite de nuit) entre Shen Tu et Rain sont donc passées complètement à la trappe par les américains. Ce qui est extrêmement regrettable.
Scène absente de la version internationale... mais qui fait une furtive apparition dans le générique de fin.
Les bouleversements de la version internationale ne s'arrêtent évidemment pas là. Quand il s'agit de sacrifier des oeuvres non locales, les américains n'y vont généralement jamais avec le dos de la cuillère. Hormis le charcutage maladroit, les coupures franches et les déplacements de scènes rendant régulièrement le film incohérent (on retiendra la référence à la boîte de nuit, pourtant censurée dans la version internationale, mais conservée durant un dialogue), on remarquera surtout le remplacement d'une bonne partie des musiques originales par de nombreux titres pops plus énergiques, dont "Kung Fu Fighting" sans que l'on comprenne vraiment ce qu'elle fiche là. La version internationale édulcore également toute référence à l'alcool, d'où la censure pure et simple de la scène de la discothèque déjà évoquée plus haut, mais également tout un pan de l'histoire de la famille de Rain, notamment la souffrance ressentie par elle et sa mère venues s'installer dans une petite bourgade alors que pratiquement toute la population locale les rejette à cause de leur obstination à toujours proposer une recette de soupe éculée dans leur vieux restaurant traditionnel. La version internationale efface aussi complètement le profond respect des règles et le rapport à la superstition de Shen Tu. Dans la version originale, Shen Tu a tellement peur de déclencher la colère divine qu'il se refuse longtemps de parler à Rain, rendant certaines scènes entre eux très cocasses (là où la version internationale le rend bavard dès leur première rencontre) tout en apportant un éclairage intéressant sur la raison de sa très longue hésitation à se lancer à la poursuite de son frère.
S'il y a bien une chose qui a été épargnée par la version internationale de The Guardian Brothers, c'est évidemment son côté visuel, même s'il manque 21 minutes. Pour leur tout premier long métrage animé, Light Chaser Animation Studios propose vraiment quelque chose de très agréable à regarder. Le film multiplie les couleurs, sans en abuser, joue énormément sur les nuances et crée une atmosphère propre pour le monde des humains, pour celui des esprits, mais également pour le territoire du Nian où se déroule le final. The Guardian Brothers propose également de traverser certaines contrées fantasmagoriques propres aux filmographies chinoises. Côté personnages, si l'animation reste parfois un peu "flottante", avec un côté cartoon fantaisiste, il n'en reste pas moins que leurs mouvements sont crédibles et s'associent parfaitement avec l'environnement, alors même que leur aspect est un peu plus réaliste que les personnages. Il semble également évident que Light Chaser Animation Studios se sert de son premier film pour expérimenter toutes les techniques d'animations puisque le film regorge d'un nombre assez conséquent de cadrages, angles, prises de vue et mouvements de caméra différents tout au long du film.
En fin de compte, proposer un casting cinq étoiles américain (En dehors de Meryl Streep, il y a notamment Edward Norton, Nicole Kidman ou l'infatigable Mel Brooks quand même) prouve que cela ne fait pas tout pour constituer un bon film. En charcutant de manière éhonté The Guardian Brothers, qui n'en avait clairement pas besoin, les Etats-Unis impose au niveau mondial un long métrage au potentiel initial complètement gâché. En état de léthargie narrative au vu du non sens et de l'incompréhensible scénario remanié, les acteurs de la version française ne sont d'ailleurs pas plus convaincus par la chose, livrant une interprétation générale très moyenne tout aussi peu cohérente que la version américaine. Plus difficilement trouvable, la version originale de The Guardian Brothers change évidemment complètement la donne. Si le long métrage est loin d'être irréprochable, la version "complète" du film s'avère bien évidemment plus étoffée, plus joviale, plus poétique et, surtout, beaucoup plus logique dans ce qu'elle raconte. Il est malheureusement fort à parier que cette version originale n'atteigne jamais nos contrées francophones, faisant donc de la version internationale la seule à être disponible en occident et, paradoxalement, la moins intéressante version de The Guardian Brothers à découvrir. Une fois n'est pas coutûme, je vous conseille donc de vous abstenir de voir le film sur Netflix, sauf si vous avez moins de 10 ans.
Olivier J.H. Kosinski - 19 juin 2020
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Doublage (France - 2017)
Yu Lei : Damien Boisseau
Raindrop "Rain" : Alice Orsat
Luli : Danièle Douet
Colossus : Michel Elias
Grand-Père : Michel Elias
Maire des esprits : Jean-Claude Donda
Rogman : Jean-Claude Donda
Sources :
LesGrandsClassiques.fr