Analyse de l'oeuvre
Il était une fois un projet farfelu produit par Disney : un film d'animation qui avait pour ambition de célébrer le centenaire de son studio d'animation. La stratégie commerciale est assez ingénieusement préparée, en vantant ce film comme celui qui répondra à toutes les questions laissées en suspens durant dix décennies. Pour parachever l'ensemble, le studio Disney souhaite rendre hommage aux innombrables artistes et talents ayant donné naissance à tant de films d'animation, plus spécifiquement à leurs styles graphiques, c'est-à-dire en essayant de concilier différentes approches et sensibilités visuelles. Sans nul doute pour question de coûts (et surtout d'absence totale d'artistes compétents depuis presque 20 ans), l'idée de revenir à l'animation 2D est cependant abandonnée, mais le studio Disney tente quand même d'apporter un aspect papier à son oeuvre, avec un grain très prononcé imitant, plus ou moins, le crayon, le fusain, la craie, voire même le pastel de notre enfance. Pour l'intrigue, le studio Disney surfe sur une grande tendance américaine, très ancrée dans l'industrie du comics depuis de nombreuses décennies, à savoir celle de concocter une "origin story", une sorte d'épisode zéro qui serait à l'origine de tous les autres contes. Puis, mélangeant tout cela dans son grand chaudron, Disney veut faire de Asha et la bonne étoile la touche finale de cette commémoration du centenaire ! Y est-il parvenu ? D'abord, posons-nous la fameuse question : qu'est-ce qui fait la magie Disney ?
Chacun donnera sa propre réponse car il n'existe pas vraiment de réel consensus. La recette est subtile, mais souvent indescriptible. Certains diront que c'est surtout la musique qui est primordiale, d'autres parleront des chansons. Mais, depuis 1937, les contre-exemples de films d'animation n'entrant pas dans ce schéma ne manquent pas. On peut évoquer le fait qu'il faut de la fantaisie pour enchanter le public, alors même que Disney a tenté, assez timidement il est vrai, de se lancer parfois dans la science-fiction. On pourra aussi évoquer la profondeur cachée derrière la candeur de l'intrigue, mais là encore de nombreux films sont souvent plus terre-à-terre voire complètement absurdes. La qualité graphique alors ? Oui, sauf que nous sommes nombreux à nous déchirer autour de la 2D et de la 3D, deux écoles souvent inconciliables. Le perfectionnisme peut-être ? A l'époque de Walt Disney, cela ne fait aucun doute, mais après son décès, la compagnie a plusieurs fois affronté les creux et les vagues comme un gros navire pris dans la tempête. Que reste-t-il alors pour décrire cette magie Disney ? Et si la réponse était toute simple en vérité. Parce que la majorité de leurs films parviennent à être touchants, tout simplement ?! Et quand une large majorité du public adhère au concept, cela en fait un grand classique intemporel et indémodable dont peu d'autres studios peuvent se vanter d'avoir. Bref, avec cet immense et glorieux passé historique, Asha et la bonne étoile joue sur la corde raide, quitte à trop en faire sans réussir à peaufiner correctement l'ensemble. Mais ce n'est pas trop grave en soi.
Par certains côtés, Asha et la bonne étoile cherche, expérimente et tâtonne ce qui a le gros défaut de le coincer entre l'hommage, le plagiat et le pastiche. Mais il se défend tout de même pour peu qu'on n'en attende pas trop de lui. N'y allez surtout pas avec un trop plein d'espoir, vous ressortirez forcément très déçu face à ce que le film propose. Asha et la bonne étoile effleure de peu le chef d'oeuvre car, même si de très bonnes idées sont là, elles ne sont pas exploitées à leur maximum. De fait, le long métrage a beaucoup de mal à être marquant, ni enchanteur. Il enchaîne, certes, de bonnes scènes et numéros musicaux, mais de façon automatique, presque robotique même, sans que cela n'apporte une réelle consistance ni de fantasmagorie. Le spectateur n'en ressort pas du tout rassasié. Il a apprécié la bonne cuisine, mais aurait préféré la grande cuisine. Pour ainsi dire, il manque un soupçon d'âme à Asha et la bonne étoile qui l'aurait porté à un tout autre niveau. Toutefois, si on dissocie le long métrage des festivités du centenaire Disney, il est vrai qu'Asha et la bonne étoile s'apprécie mieux, sans pour autant égaler les quelques films l'ayant précédés, notamment La reine des neiges II et, surtout, le formidable Encanto - La fabuleuse famille Madrigal bien plus festif et enchanteur que celui-ci.
Que nous propose Asha et la bonne étoile ? Pour l'intrigue, les scénaristes Jennifer Lee et Allison Moore ne se mouillent pas trop, car elles livrent une aventure féérique plutôt banale, vaguement inspirée par les classiques d'animation Disney. En réalité, le scénario n'en retient vraiment qu'un seul élément : celui de l'abnégation de ses protagonistes. C'est peut-être bien la seule idée lumineuse du film qui, au contraire des attentes, torpille l'idée que les voeux réalisent tous les rêves. Car, quand on se penche sur les nombreux films qui l'ont précédé, la magie a toujours été instigatrice de nombreuses situations, mais c'est systématiquement les personnages qui sont allés au bout de leurs rêves intérieurs par leurs propres moyens. Pour en revenir à la magie Disney, on pourrait tout aussi bien dire que leurs personnages bénéficient souvent d'un coup de pouce magique, d'une sorte d'impulsion, afin de les obliger à dépasser leurs conditions et suivre une voie plus heureuse. Cet élément est effectivement presque toujours récurrent dans tous les films d'animation Disney, Asha et la bonne étoile parvenant à en transcender l'idée de manière bien plus voyante qu'auparavant. La petite étoile Star qui tombe du ciel répond certes à l'appel d'Asha mais elle n'est là que pour l'accompagner dans sa quête. C'est bien Asha qui parvient à réunir tous les villageois de par ses actions et qui réussit à remettre le royaume sur de bons rails. Elle a accompli son rêve parce qu'elle a été guidée tout en étant soutenue par les autres.
Pour ce qui est de l'aspect graphique, Asha et la bonne étoile est parfois réussi et parfois non. Il faut effectivement saluer l'intention, surtout quand on sait que les talents Disney pour la 2D ont disparu dans la nature depuis bien trop longtemps (sans compter que Disney a désormais confié certaines productions à des studios externes, une vraie hérésie quand on y pense). Beaucoup d'arrière-plan et certains détails dans les vêtements ou les objets font forte impression dans leur idée de simuler une animation traditionnelle à l'ancienne. Mais cela a parfois un peu de mal à s'harmoniser avec le rendu 3D finalement très classique de Disney, dont le style ne semble pas avoir évolué depuis Raiponce. L'hommage aux anciens films est d'ailleurs parfois si poussé qu'on finit par passer une bonne partie du film à comparer les personnages d'Asha et la bonne étoile avec ceux d'autrefois. Ceux du film en perdent dès lors leur identité propre, un peu à la manière de nos chers comédiens de doublage où tout un chacun s'exclame "Ah tiens, mais c'est la voix de [mettre le nom d'un acteur non francophone de votre choix]", dépersonnalisant complètement leur existence réelle au profit de leur incarnation "virtuelle". C'est exactement pareil avec les personnages d'Asha et la bonne étoile qui ne semblent exister qu'à travers leurs prédécesseurs, comme des coquilles vides. On finit par en oublier qu'ils ont une consistance plutôt intéressante, car ils sont bien mieux exploités, crédibles et convenablement intégrés au récit que ne l'étaient ceux d'Avalonia, l'étrange voyage.
Concernant la bande originale, Asha et la bonne étoile a été une très grosse déception dans mon cas. Je n'en attendais pas grand-chose de particulier (je n'avais d'ailleurs entendu aucun titre avant d'aller en salle) mais, au sortir de la séance, je les avais déjà toutes oubliées ! Pas un seul morceau du film ne m'a fait ressentir le moindre frisson, ce qui est très mauvais signe à mon sens sur leur intérêt, disons même leur légitimité, dans le film. Composés à six mains - Dave Metzger pour la musique, Julia Michaels et Benjamin Rice pour les chansons -, les nombreux titres qui composent la bande originale ne se prêtent à la moindre analyse, ni la moindre introspection. Absolument aucun morceau, y compris le titre majeur "Je fais le voeu" (dont j'ai déjà totalement oublié la mélodie au moment d'écrire ces lignes), n'atteint la puissance d'un "Je te cherche" ou d'un "J'attend le miracle". Chaque chanson n'apporte aucun élément narratif pertinent, les personnages chantent mais ne racontent rien d'eux, ni de leurs tourments. Ce sont toutes des chansons purement fonctionnelles, qui accompagnent des numéros musicaux mais n'apportent rien de concret à l'intrigue que quelques lignes de dialogue auraient pu très bien remplacer. C'est là d'ailleurs le plus gros point noir d'Asha et la bonne étoile car, en éliminant les nombreuses chansons, on se rend assez vite compte que l'intrigue est finalement bien maigre quand on les retire. Avec un tel film hommage ne dépassant pas une heure et demi, hors générique de fin, se rendre compte que près des deux tiers du métrage les concerne et qu'on peut très bien s'en passer, c'est assez gênant.
Malgré tout, Asha et la bonne étoile reste dans l'ensemble un bon film, pas excellent, mais agréable. Peut être manque-t-il d'originalité, car on voit venir de loin tous les rebondissements, mais il reste très cohérent avec lui-même. Même si l'on constate que le long métrage contient une déferlante de références aux anciens films Disney, il faut aussi reconnaître que cela n'est jamais forcé. C'est amené de façon naturelle et ludique, sans trop alourdir le récit, tout en donnant envie de revoir le film pour y trouver les références qu'on aurait manqué. Mais pour ce qui est de son statut de film "anniversaire", il faut admettre que Asha et la bonne étoile passe vraiment à côté de la folle expérience qu'on aurait préféré avoir, bien loin des renouveaux qu'avaient été Cendrillon, La petite sirène et Raiponce en leur temps. Un constat d'autant plus amer que Disney nous avait habitués à bien mieux jusque là dans ses propositions de bandes originales. Il y a vraiment là un gros acte manqué qui risque, malheureusement, de reléguer le film dans la catégorie des films plus mineurs du groupe, dépassé qu'il est par bien meilleur que lui. Asha et la bonne étoile reste appréciable mais ne transcende malheureusement pas la célèbre magie Disney.
Olivier J.H. Kosinski - 01 décembre 2023
