Analyse de l'oeuvre
Contrairement à Épisode 1, les origines en 2016, qui fut réalisé spécialement pour commémorer le 20e anniversaire de la diffusion du tout premier épisode de la série et dont il s'agissait d'un remake complet réaménant complètement l'intrigue, L'histoire d'Ai Haibara - Le mystère du train noir est un téléfilm compilation qui reprend quatre épisodes de la série télévisée en version entièrement restaurée, accompagnée d'une bande son entièrement renouvelée. Afin d'en tirer un téléfilm compréhensible pour les nouveaux venus, l'intrigue pioche également dans six autres anciens épisodes de diverses périodes centrés autour du personnage, présentés sous la forme de flashbacks. Ce téléfilm, "réimaginé" si l'on peut dire, a d'abord été conçu pour retracer les grandes lignes de l'histoire d'Ai Haibara mais, surtout, mettre en lumière l'un de ses plus grands affrontements face à l'organisation des hommes en noir. Car, dans cette tonitruante affaire entièrement inspirée par Le crime de l'Orient Express d'Agatha Christie, Shiho Miyano y trouve la mort ! Hein ? Comment est-ce possible ? Et c'est quoi alors le rapport avec le 26e long métrage Le sous-marin noir ? Attendez, vous allez tout comprendre.
Revenons d'abord aux origines de Détective Conan. Comme chacun le sait (et le saura après avoir lu ces quelques lignes), en 1994, le jeune détective lycéen Shinichi Kudo s'amuse avec son ami d'enfance à Tropical Land. Attiré par le comportement suspect d'hommes en noir, il les suit discrètement et ne remarque pas que l'un d'entre eux en avait fait de même. Assommé, il est obligé d'avaler le poison APTX 4869, puis laissé pour mort. Mais les effets de la gélule le font au contraire redevenir un jeune enfant, seul élément fantastique du manga écrit par Gosho Aoyama qui a toujours inscrit son oeuvre dans une réalité relativement crédible (même si certaines mises à mort sont souvent aussi spectaculaires que tirées par les cheveux). Ce que l'on sait un peu moins en revanche, c'est que cette gélule expérimentale a été conçue par Shiho Miyano, une jeune scientifique de l'organisation des hommes en noirs, prenant la suite des recherches de ses parents, dont le nom de code est Sherry. Cependant, elle finit par se retourner contre l'organisation suite à l'assassinat de sa grande soeur. Acculée, et ne trouvant aucune issue, elle tente alors de se suicider avec le poison APTX 4869 qu'elle avait elle-même élaborée. Elle constate alors, avec stupeur, qu'elle se met soudain à rajeunir, ce qui lui permet de prendre la poudre d'escampette et de croiser la route de Conan. Aujourd'hui, Ai Haibara est devenue une amie et une alliée de poids dans Détective Conan. Cela n'a cependant pas toujours été le cas, car elle a tenu un rôle très ambivalent dans l'intrigue.
Ai Haibara a longtemps eu une double facette. Dans un premier temps, en tant qu'ancien membre de l'organisation des hommes en noir, Ai Haibara a toujours eu une grosse part de mystère. Il était assez difficile de savoir dans quel camp elle était exactement. Même les premiers longs métrages, dont Décompte aux cieux plus particulièrement, ont beaucoup joué sur cet aspect de sa personnalité. Même si le manga avait à l'origine été lancé pour un public jeune, Détective Conan a toutefois toujours gardé un côté mature, ce qui lui a permis de rapidement devenir un manga intergénérationnel. De fait, même s'il semblait évident que Ai Haibara finirait par être une alliée, il y a eu plusieurs fois des doutes autour de son personnage. Elle aurait très bien pû être un agent infiltré par exemple, même si cela paraissait abracadabrant. Dans un second temps, Ai Haibara est un personnage au destin tragique qui, bien plus que Conan, sait à quel point l'organisation des hommes en noir est cruelle. C'est un personnage brisé qui, pendant de nombreuses années, s'est enfermé dans sa carapace car elle se sait acculée, tout en ayant constamment tendance à ne pas faire confiance et à privilégier la fuite. Car elle sait que, si elle est démasquée, tout son entourage sera menacé. C'est une dure réalité qu'elle a vécu et dont elle ne souhaite à aucun moment qu'elle se reproduise. C'est qu'elle s'est attachée à tous ceux qui l'entourent désormais ! Ai Haibara est l'un des personnages créés par Gosho Aoyama ayant eu le parcours parmi les plus intéressants du manga, puisqu'entre son apparition et aujourd'hui, elle a simplement retrouvé la joie de vivre.
L'histoire d'Ai Haibara - Le mystère du train noir est un tournant majeur dans l'évolution du personnage. L'intrigue originale s'inscrit dans ce que je qualifierai d'âge d'or du manga, au moment où il y a eu un grand crescendo dans l'élaboration des histoires, plus ou moins à partir du volume 70. Je ne sais pas exactement ce qui l'a déclenché, mais c'est à cette époque que Gosho Aoyama a porté Détective Conan a un très haut niveau en envoyant, pour commencer, Conan à Londres dans un formidable thriller autour de la joueuse de tennis Minerva Glass. Quelques volumes plus loin, dans le 78e, c'est au tour d'Ai Haibara d'être placée au coeur d'une grande intrigue, en l'occurence celle qui nous intéresse ici. L'intrigue s'inscrit dans une continuité très bien maîtrisée qui sert d'épilogue au destin de Shiho Miyano, la version adulte du personnage. Depuis son apparition, Ai Haibara a plusieurs fois été confrontée à l'organisation des hommes en noir. C'est notamment le cas dès le volume 25 où Gin a vent de sa présence. Elle se voit alors contrainte d'utiliser un remède expérimental, dont les effets sont temporaires, pour retrouver sa taille d'adulte où elle parvient à faire croire à sa disparition, sauf aux yeux de Pisco qui la démasque, mais trouve la mort sans dévoiler sa véritable identité. C'est sans compter sur un autre membre de l'organisation, Vermouth, qui découvre à son tour qu'elle a survécu. Bien qu'elle nourrisse une haine féroce envers Shiho Miyano, Vermouth préfère cependant taire sa nouvelle identité, avec l'espoir de trouver un moyen de l'éliminer pour de bon ultérieurement.
Ne se doutant de rien, Ai Haibara tente à partir de là de passer sous les radars de l'organisation, ce qu'elle réussit plus ou moins à faire. Tout du moins jusqu'au volume 77 où elle se retrouve face à un éprouvant dilemme. Alors qu'elle ramasse du bois pour un feu de camp, elle tombe avec ses amis, Ayumi, Mitsuhiko et Genta, sur un meurtrier en train d'enterrer sa victime en plein milieu de la forêt. Après une longue course poursuite, les quatre enfants trouvent refuge dans une petite maisonnette. Une bien mauvaise idée puisque le coupable en profite pour les enfermer à l'intérieur avant de mettre le feu à la baraque. Conan étant, pour une fois, injoignable car retenu ailleurs, Ai Haibara doit donc rapidement prendre la décision de redevenir à nouveau Shiho Miyano, sa forme adulte étant la seule capable de tous les sortir de cet enfer de flammes. Bien qu'elle ne regrettera à aucun moment d'avoir pris cette décision, nul ne peut cependant échapper à l'oeil des caméras numériques du monde moderne. Dès lors, l'organisation des hommes en noir retrouve la trace de Shiho Miyano, ainsi que sa prochaine destination : le Bell Tree Express. Il n'en faut guère plus pour que les hommes en noir manigancent un stratagème machiavélique pour la faire disparaître une fois pour toute. C'est tout l'objet de cette palpitante affaire proposée par L'histoire d'Ai Haibara - Le mystère du train noir, dont je n'en dirais pas plus pour vous laisser le plaisir de le découvrir par vous-même. Bien évidemment, les plus futés auront compris qu'elle va survivre, puisqu'elle est présente dans Le sous-marin noir, mais ce téléfilm vaut vraiment d'être vu pour découvrir le pourquoi du comment et, surtout, pour le casting cinq étoiles que Gosho Aoyama nous réserve.
Quelles différences existe-t-il entre L'histoire d'Ai Haibara - Le mystère du train noir et les quatre épisodes de la série télévisée ? Par grand chose en vérité, quelques aménagements tout au plus. D'abord, comme indiqué plus haut, tous les dialogues ont été ré-enregistrés au Japon, avec les mêmes comédiens qu'à l'époque. Les coupures et transition publicitaires ont également été éliminées, tandis que quelques ajouts ont été apportés. D'abord, le film s'ouvre comme pour les longs métrages avec une toute nouvelle introduction traditionnelle des films et téléfilms de Détective Conan, sauf qu'elle est cette fois présentée par Ai Haibara. Ensuite, pour aider ceux qui ne connaissent pas très bien l'univers de Détective Conan, une rétrospective retrace les grandes lignes de l'histoire d'Ai Haibara, piochées dans six anciens épisodes, notamment le tout premier où elle apparaissait à l'époque (Episode 126 du 4 janvier 1999). Enfin, le téléfilm propose avec une scène post-générique inédite, qui met en scène le professeur Agasa, avant de se terminer avec un petit avant goût de Le sous-marin noir. Un choix qui n'est pas anodin, car l'intrigue du 26e film est directement reliée à la conclusion de ce téléfilm, à cause du système de reconnaissance faciale révolutionnaire qui remet immédiatement en doute la disparition de Shiho Miyano aux yeux de l'organisation.
Qu'on se le dise, je n'ai jamais été particulièrement fan de la série animée Détective Conan. Je l'ai toujours trouvée plus fade que le manga dont le découpage voulu par Gosho Aoyama se veut toujours bien plus palpitant. Il faut aussi reconnaître que lorsque l'on connaît le dénouement à l'avance, cela ne laisse à mes yeux qu'assez peu de chance de pouvoir briller en passant après, car la série animée fait rarement preuves de bonnes initiatives lorsqu'elle tente de s'éloigner un peu trop du manga. D'où ma grande préférence pour les longs métrages qui proposent toujours de l'inédit. Pour autant, comme L'histoire d'Ai Haibara - Le mystère du train noir est tiré de l'une des meilleures périodes du manga, le téléfilm s'appuie sur une intrigue particulièrement solide qui a le mérite d'être très bien amenée à l'écran. De fait, je ne peux que recommander les curieux de prendre le temps de découvrir cette version "ré-imaginée" de l'affaire du Bell Tree Express, d'autant que le téléfilm est proposé en bonus de l'édition vidéo de Le sous-marin noir, car elle permet à la fois de faire le lien avec le film et de revenir sur l'un des meilleurs affrontements de Conan face à l'organisation des hommes en noir.
Olivier J.H. Kosinski - 19 janvier 2024
