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Paramount Pictures
Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre

L'extravagant Mr. Bug / Hopity le criquet séducteur

Hoppity le criquet magique / Bugville

Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre est proposé au cinéma en France le 27 décembre 1946, ainsi qu'en Belgique sous le titre de L'extravagant Mr. Bug. Tombé depuis dans le domaine public, le film est distribué sous différents titres : Hopity le criquet séducteur (avec une faute d'orthographe sur le nom du personnage), Hoppity le criquet magique et enfin Bugville. On lui connait un seul doublage officiel de 1946, aujourd'hui considéré comme perdu, tandis que l'autre a été réalisé par une équipe amateur pour la commercialisation VHS. D'autres doublages peuvent possiblement exister, vu que le film est dans le domaine public.

L'intrigue

La sauterelle Hoppity revient au quartier Manhattan de New York, après une longue période d'absence. Il découvre que tout n'est pas comme il l'avait laissé et que ses amis insectes, vivant dans le jardin extérieur d'un jeune couple en mal d'argent, sont maintenant menacés par les humains qui détruisent leur paisible lieu de vie...

Analyse de l'oeuvre

Nous sommes en 1937. Walt Disney prend de court le monde du cinéma américain. La grande folie disneyenne est acclamée par des millions de spectateurs, petits comme grands. Paramount, première à s'engouffrer dans la brèche, ordonne à Fleischer Studios, réputé pour être à la pointe de certaines technologies de l'animation (l'invention du célèbre rotoscope notamment), de réaliser un grand long métrage d'animation à son tour. Sauf que le studio Paramount ne met pas sur la table la même somme folle d'argent que le concurrent, ce qui restreint fortement le travail des frères Fleisher. Pour couronner le tout, Paramount met une pression monstre sur leurs épaules, car il faut à tout prix faire en sorte que ce long métrage sorte avant Pinocchio, afin de ne pas se laisser distancer par Disney. La situation est d'autant plus éprouvante qu'un long conflit social avait quasiment vidé la trésorerie de Fleischer Studios, que Paramount les oblige à déménager en Floride et que, face à l'ampleur de la tâche, il est alors nécessaire de recruter à tour de bras des centaines d'animateurs inexpérimentés, la plupart sortant à peine des bancs des écoles sans expérience aucune. Malgré tout, après 18 longs mois de production, Les voyages de Gulliver sort en décembre 1939, rencontre un certain succès, mais un grain de sable vient parasiter sa carrière : la seconde guerre mondiale éclate, coupant court à tout revenu en Europe. Certes, les Etats-Unis n'entrent pas encore dans le conflit mondial à cette date, mais la situation n'est clairement pas bonne pour Fleischer Studios. C'est d'autant plus affligeant pour eux lorsque les frères Fleischer découvrent que le studio Paramount leur a spolié, en toute légalité, une importante partie des recettes du film, ce qui les place dans une situation pécuniaire très inconfortable.

Sans que je puisse réellement en apporter une preuve irréfutable, car cela peut aussi résulter d'autres éléments professionnels comme familiaux, il reste néanmoins plausible que cet événement ait semé les premières graines de la discorde entre les frères Fleischer. Autrefois très soudés, la fratrie se désagrège au fil des jours. La situation ne refroidit pas pour autant les ambitions du studio Paramount qui, considérant Les voyages de Gulliver comme un succès, souhaite mettre en chantier un nouveau long métrage d'animation. Leur dévolu se porte d'abord sur La vie des abeilles, une réflexion sur l'espèce écrite par Maurice Maeterlinck qui aborde leur vie et leur communauté de manière philosophique, tout en la comparant à celle d'une communauté humaine. La Paramount échoue toutefois à obtenir les droits d'adaptation, mais garde l'idée de base des insectes vivant au milieu d'une communauté, tandis que celle-ci doit subir les ravages de la révolution industrielle humaine. Ainsi prend forme Mr. Bug Goes to Town, connu en France sous le titre Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre et L'extravagant Mr. Bug en Belgique.

Fleischer Studios commence à travailler sur le long métrage dès la fin de celle de Les voyages de Gulliver. Mais la situation entre les frères Fleischer, déjà tendue auparavant, prend une telle proportion que Paramount ajoute un avenant à leur contrat, inédit pour l'époque, dans lequel figure une clause stipulant qu'à la fin de la production du film, l'un comme l'autre devront démissionner de leurs postes. Dave Fleischer sera le premier à le faire, dès novembre 1941 pendant la post-production, un mois avant la date de sortie prévue du film en salle, tandis que Max Fleischer en fera de même le 07 décembre 1941 alors que ce dernier est convoqué par la Paramount pour lui signifier que la sortie du film à Noël est finalement compromise. La raison est toute simple : Pearl Harbor vient tout juste d'être attaqué, ce qui fait entrer les Etats-Unis dans le conflit mondial. Leur départ n'est cependant annoncé publiquement qu'en janvier 1942, histoire que cela ne fasse pas trop de bruit. Peut-être par effet de bord, la carrière de Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre tourne alors au fiasco. Le public américain s'en désintéresse complètement, tandis que les revenus en Europe sont définitivement inexistants. Conforté par la déroute en salle de Pinocchio et Fantasia, la Paramount clos définitivement son ambition de produire d'autres films d'animation. Une décision qui restera d'actualité pendant plus de 60 ans ! Avec le temps, en ne renouvelant pas leurs droits, Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre et Les voyages de Gulliver tombent dans le domaine public, tout en disparaissant de la mémoire collective.

Pour autant, il faut reconnaître que Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre s'en sort beaucoup mieux dans l'ensemble que Les voyages de Gulliver. Sans aller jusqu'à égaler la perfection de Pinocchio, qui repoussait tous les curseurs par rapport à Blanche-Neige et les sept nains, ce second long métrage réalisé par Fleischer Studios est bien plus abouti que son prédécesseur. Toutefois ce qu'il gagne en technicité, il le perd en fantaisie car Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre s'inscrit pleinement dans la période de production du long métrage, la fin des années 1930 et le début des années 1940. Or, à la manière d'un certain Oliver & Compagnie chez Disney - toutes proportions gardées -, en rendant son histoire trop inscrite dans la réalité de son époque, toute la présentation du film s'en trouve involontairement ringardisée aujourd'hui. Les voyages de Gulliver a effectivement lui aussi gardé un côté vieillot, y compris Blanche-Neige et les sept nains d'ailleurs. Pour autant, les deux films ont une approche volontairement merveilleuse qui permet de dépasser facilement le cadre du récit. C'est le même principe que la célèbre accroche ouvrant chaque film Star Wars, comme cela se passe dans une galaxie lointaine, le dangereux jeu des comparaisons n'a pas lieu d'être, on accepte ce qu'on veut bien nous donner. Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre souffre terriblement de cet aspect suranné, avec une intrigue qui reste coincée dans son époque. Je soupçonne d'ailleurs que le long métrage multiplie les références et les clins d'oeil appuyés, vu la façon dont sont présentés certains gags. Malheureusement, sans point de référence, leur compréhension devient difficile et le comique de situation tombe souvent à plat.

Au-delà de son contexte historique, Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre souffre aussi d'un manque évident de clarté et de contexte autour de ses personnages. Tout semble en effet acquis pour les spectateurs qui viennent le découvrir. A dire vrai, c'était peut-être le cas à l'époque, mais aujourd'hui, le scénario est couvert de nombreuses zones d'ombre. Par exemple, le scénario s'établit comme une sorte de suite à un évènement qui n'est pourtant pas du tout expliqué dans le film : Hoppity avait quitté les lieux quelque temps plus tôt (pour aller on ne sait où) et il est accueilli en héros lorsqu'il revient au début du film (pour une raison tout aussi inconnue). Dans un sens, l'intrigue a une approche très cartoon où l'on part du principe que le gag de l'instant prime sur le contexte, là où le studio Disney savait présenter convenablement ses personnages sur la même période. En soit, ce n'est pas très gênant, le problème, toujours vis-à-vis de Hoppity, c'est que sa contextualisation initiale est constamment remise en cause dans le film. De son rang de superstar iconique accueilli à bras ouvert par sa communauté, Hoppity échoue constamment dans tout ce qu'il entreprend, se faisant même manipuler comme un débutant, ce qui lui octroie une aura de beau parleur mais qui ne sait en réalité pas faire grand chose de sa vie. Dès lors, ça finit par le rendre extrêmement antipathique. Même chose du côté du méchant du film, sorte d'aristocrate de pacotille, flanqué de deux acolytes ahuris, incapable de rivaliser avec la terrifiante Reine ou Stromboli. On a beaucoup de mal à s'attacher au héros, comme à l'antagoniste, dont le  même double objectif est de séduire la belle, tout en lui trouvant un nouveau logis. Je grossis volontairement le trait, mais ça ne va pas vraiment plus loin que ça dans les faits. Le long métrage s'appuyant ensuite sur une succession de rebondissements propres aux cartoons.

Je dois admettre avoir fait l'horrible bêtise de revoir d'abord Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre en version française. Ce qui a, dans un premier temps, très fortement accentué mon rejet pour le film. J'ai heureusement eu le réflexe de revoir le film dans sa version originale qui reste, bien évidemment, la seule qui vaille la peine d'être regardée. Pour quelle raison ? Comme Les voyages de Gulliver avant lui, Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre a subi depuis les foudres d'un redoublage amateur assez consternant qui saccage toute la bande son originale. Il semble logique que le film ait bénéficié d'un doublage en 1946, mais entre son peu de succès à l'époque et son entrée dans le domaine public, cette version a totalement disparu de la circulation. Plus gênant, la Paramount semble elle-aussi avoir perdu la bande son internationale, c'est-à-dire celle contenant la musique et les bruitages, mais aucun dialogue. De fait, toute adaptation française récente se retrouve face à un problème de taille : redoubler les dialogues implique de détruire purement et simplement les dialogues anglais, les bruitages et la musique. Il est en effet impossible de les conserver tels quels avec le nouveau doublage français, sauf à faire du voice-over, où l'on entendrait à la fois les dialogues anglais et français, façon documentaire télévisé. Évidemment, la solution la plus logique aurait été de recréer complètement la partition, mais cette solution a un coût qu'aucun des petits éditeurs français qui commercialisent un film du domaine public n'a les moyens d'entreprendre. Il en résulte un mixage malheureux des chansons conservées avec les voix et musiques originales, tandis que tout le reste est remplacé quand interviennent les dialogues français. C'est loin d'être épouvantable au vu des moyens déployés, mais cela saccage quand même totalement le propos du film dont la partition originale reste bien meilleure. S'il vous vient à l'idée de regarder ce film, faite l'impasse sur les éditions françaises récentes pour vous concentrer exclusivement sur la VOST. En espérant qu'on retrouve un jour la version française originale, sait-on jamais.

Aujourd'hui, Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre reste à jamais la seconde et dernière tentative de Paramount de rivaliser avec les studios Disney. Avec près d'un siècle de recul, il semble aujourd'hui évident que, même sans les évènements de la seconde guerre mondiale, la Paramount n'aurait sans nul doute pas réussi à rattraper Disney sur le terrain des longs métrages d'animation. Walt Disney, au temps de ses débuts, réalisait ses films avec passion, dépensant sans compter pour offrir aux spectateurs la plus belle expérience cinématographique qui soit. Tout au contraire, Paramount était surtout avide des revenus que ce nouvel art cinématographique pouvait lui rapporter, optant pour une stratégie de faible coût pour rentabilité maximale. La vision des frères Fleischer est elle-aussi à mettre en doute car, si leur approche était intéressante pour ce qui était de réaliser des cartoons, elle avait beaucoup de mal à s'imposer dans le domaine des deux seuls longs métrages qu'ils ont produit. Aujourd'hui, on finit par se dire que, peut-être, ce sont deux actes manqués que les circonstances de leurs créations, les disputes internes, le manque de moyen déployé par la Paramount et la seconde guerre mondiale ont fini par planter le dernier clou dans le cercueil de Douce et Criquet s'aimaient d'amour tendre avant même que celui-ci n'ai la moindre chance de pouvoir briller.

Olivier J.H. Kosinski - 10 février 2024

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Voxographie Francophone

1er Doublage (France - 1946)

Le doublage original est actuellement considéré comme perdu. Aucun nom n'est connu.

2e Doublage (France - 1988)

Le doublage est assuré par des comédiens amateurs. Aucun nom n'est indiqué.

Sources :
Générique du film

2.5