Même si la France lui grille la priorité en raison du décalage horaire, le long métrage est proposé en avant première le même jour, le 10 septembre 2005, durant deux festivals aussi bien au Canada qu'en France. Toutefois, il ne sort doublé en français que le 23 septembre 2005 au Québec, sous le titre parfaitement à propos La mariée cadavérique, tandis que la France doit attendre de le découvrir le 10 octobre 2005 sous le titre moins équivoque Les noces funèbres. Le long métrage dispose de deux doublages francophones.
Au XIXe siècle, dans un petit village d'Europe de l'est, Victor, un jeune homme, découvre le monde de l'au-delà après avoir épousé, sans le vouloir, le cadavre d'une mystérieuse mariée. Pendant son voyage, sa promise, Victoria, l'attend désespérément dans le monde des vivants. Bien que la vie au Royaume des Morts s'avère beaucoup plus colorée et joyeuse que sa véritable existence, Victor apprend que rien au monde, pas même la mort, ne pourra briser son amour pour sa Victoria...
Quand on évoque l'animation en volume, le premier studio qui nous vient à l'esprit est souvent le britannique Aardman à l'origine des célèbres Wallace & Gromit, Shaun, le mouton ou bien encore Chicken Run, leur tout premier long métrage. L'animation en volume, plus communément appelée stop-motion, est probablement l'une des techniques les plus anciennes dans le milieu de la fiction - l'un des premiers films animés français, Le roman de Renart, l'était -, peut-être même l'une des plus faciles à mettre en oeuvre même pour un néophyte puisqu'il ne nécessite pas de compétences pointues, à minima un peu d'ingéniosité. Toutefois, cela reste une technique à la fois contraignante et très longue à exécuter. Avec la cadence minimale d'au moins 24 images par seconde, soit plus de mille pour une seule minute de métrage, le temps pour concevoir une fiction de ce type devient irrémédiablement compliqué et gourmand en termes de temps. Prendre un cliché de la scène, déplacer un peu les éléments correctement pour simuler un mouvement, veiller à ce qu'il n'y ai aucun problème de luminosité ou d'éléments parasites, refaire la mise au point, reprendre un cliché et on y retourne, encore et encore. Paradoxalement, l'animation en volume est sans doute celle qui semble la plus réelle d'entre toutes, ce qui est logique, puisque ce que l'on voit à l'écran est techniquement bel et bien "vrai". C'est la magie de l'animation qui rend l'ensemble convaincant et transforme le monde figé en monde vivant.
Si le studio Aardman a depuis longtemps emmené l'animation en volume au-delà de ce qui semblait inimaginable, cela fait maintenant quelques années qu'il ne voit concurrencé par un studio américain qui en fait aussi son art d'animation favori : Laïka. J'ai déjà eu l'occasion d'aborder un de leurs films, Coraline, que j'apprécie particulièrement. Il s'agit pourtant de leur second long métrage animé, le premier ayant été Les noces funèbres, qui nous intéresse ici. Un projet initié par Tim Burton qui reprend, peu ou prou, plusieurs éléments macabres qu'il avait déjà insufflé dans L'étrange Noël de Monsieur Jack, bien qu'il n'en était pas l'artisan principal, puisque seulement cantonné à un rôle d'auteur conceptuel, car c'était bien Henry Selick qui avait réalisé le film de Disney. Comme à son habitude, Tim Burton renoue pour ce film animé avec le fantastique et le morbide, tout en y ajoutant un soupçon de dérision et de satire. On retrouve un peu de toutes ses précédentes réalisations dans Les noces funèbres, entre autres le côté ubuesque du monde des morts emprunté à Beetlejuice, la créature qui n'a jamais pu réussir à vivre une vie normale comme Edward aux mains d'argent ou encore la dualité fantasque de la touche musicale associée à la destinée macabre de Sweeney Todd - Le diabolique barbier de Fleet Street. Les noces funèbres s'avère sans nul doute plus léger dans son approche, voire enfantin par certains côtés, même si cela ne retire en rien la profondeur du propos global.
Les noces funèbres nous conte l'étrange mariage d'un homme avec une femme décédée, inspiré par une légende juive remontant à plusieurs siècles. Mais, même si Tim Burton en garde les grandes lignes, il transforme surtout le récit en comédie romantique fantastique qu'il remplit de quiproquos, où le couple hétéroclite formé par le hasard des choses finit par se rapprocher bien plus qu'il ne le devrait. Il fait également en sorte de joindre les destinées des trois protagonistes principaux, Victor, Victoria et Emily, en leur faisant traverser les mêmes épreuves émotionnelles. Les trois personnages subissent leurs entourages, dont leur propre vie leur a été retirée au point d'en faire des marionnettes et, tous, partagent la même tristesse et les mêmes tourments. Tandis que Victor n'est qu'un accessoire pour ses parents afin qu'ils grimpent les échelons de leur condition sociale, ceux de Victoria ne voient dans ce mariage arrangé qu'une façon de renflouer leurs caisses, leur fortune d'origine noble ayant été dilapidée depuis bien longtemps. Quant à Emily, elle se désespère de pouvoir enfin s'épanouir en tant que jeune mariée comblée, dont le destin fut fauché bien trop tôt avant même d'avoir pu l'être un jour. Chacun à leurs manières va devoir affronter ses démons intérieurs et trouver la paix intérieure.
En dehors de son ambiance, très "burtonienne", Les noces funèbres est surtout marqué par sa profonde relation avec la musique. Plus encore que L'étrange Noël de Monsieur Jack en son temps, le long métrage est une grande aventure musicale. La bande originale, composée par Danny Elfman déjà à l'oeuvre dans le film précédent, renforce la cohésion de l'oeuvre et sert de liant à tout ce qui s'y déroule. Pour les oreilles attentives, on reconnaît même un fil conducteur musical qui est présent tout au long du film. Par certains côtés, Danny Elfman semble avoir été très fortement influencé par son propre travail sur L'étrange Noël de Monsieur Jack, dont on retrouve beaucoup de similarité sonore. Par exemple, le thème d'Emily résonne en effet assez fortement avec celui de Sally, au point qu'une youtubeuse américaine s'est amusée à réunir les deux chansons dans un medley improbable qui, étonnamment, fonctionne comme s'il s'agissait d'un seul et même morceau (même si le texte a été changé), comme s'il s'agissait d'un seul et même personnage mélancolique qui la chantait. Preuve que les deux morceaux ont une approche très similaire.
Hormis les quiproquos et les faux-fuyant, où chaque personnage renonce constamment à changer son destin qui lui semble imposé, ce qui fait aussi la force de Les noces funèbres, c'est bien évidemment la mariée cadavérique elle-même. Durant une grande partie du film, elle se comporte plus ou moins comme un vampire, cannibalisant inconsciemment la destinée de Victor pour qu'elle puisse vivre son rêve d'ancienne vivante. Et, par la force de la tragédie qui l'a conduite dans la tombe, elle réussit, petit à petit, à retourner Victor et le spectateur à sa cause. Le tour de force est très astucieux, d'autant que la gentillesse naturelle de Victor ne fait que renforcer d'autant plus ses convictions. Pour autant, au fur et à mesure que le récit se déroule, elle réalise qu'elle tue à petit feu la vie de Victor, tout en parasitant celle de Victoria qui se voit privé de son mariage tant désiré, tout comme ce qu'elle a vécu elle-même. Contrairement à beaucoup de films, il n'y a pas vraiment de point de basculement en Emily, dont le parcours émotionnel est progressif, logique, tout autant qu'il est touchant. Et par la force des choses, on réalise finalement que l'intrigue principale n'est point de seulement vivre une belle vie, mais de rendre justice aux tragédies humaines et ainsi libérer leurs âmes tourmentées. Dans un sens, le monde des morts du film s'apparente plus en une sorte de purgatoire où les personnages sont coincés par d'autres qui les empêchent de s'accomplir et aller de l'avant.
L'une des particularités de Les noces funèbres est de proposer un très fort contraste entre le monde des morts et celui des vivants. Tim Burton inverse les convenances habituelles en rendant le monde des vivants froid, dur et terne, tandis que le monde des morts est chaleureux, coloré et festif. Totalement libérés de leurs conditions humaines, les trépassés n'attendent plus rien de la vie, et croquent la mort à pleines dents. Tout du moins, la très grande majorité d'entre eux s'accommodent de leur sort, ainsi libérés d'une vie qu'ils n'appréciaient pas. Ce qui explique, en grande partie, cette fascination de plus en plus morbide de Victor, qui voit là une opportunité de vivre quelque chose alors que son mariage avec Victoria est soudain remis en cause. En termes de technique pure, le studio Laïka emploie l'animation en volume et les décors réels sur la majorité du film, seuls quelques effets plus complexes, voire quelques retouches subtiles, sont rehaussés grâce à l'informatique. Le rendu global s'avérant toujours très harmonieux. C'est d'autant plus appréciable que le long métrage parvient à synchroniser parfaitement les nombreux numéros musicaux avec les images.
Les noces funèbres rappellent à de très nombreuses reprises L'étrange Noël de Monsieur Jack, dont il pourrait tout à fait être la suite spirituelle, tout comme son prolongement naturel. Toutefois, le long métrage s'en démarque aussi profondément de par son propos, ce qui lui permet de tracer son propre chemin. Très agréable à suivre d'un bout à l'autre, Les noces funèbres est une oeuvre très appréciable pour tous ceux qui y sont sensibles.
Olivier J.H. Kosinski - 30 mars 2023
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Doublage (Québec - 2005)
La mariée cadavérique : Camille Cyr-Desmarais
Victor Van Dort : Gilbert Lachance
Finnis Everglot : Yves Corbeil
Barkis Bittern : Sylvain Hétu
Pasteur Galswells : Stéphane Rivard
Maudeline Everglot : Sophie Faucher
Nell Van Dort : Johanne Garneau
Victoria Everglot : Éveline Gélinas
William Van Dort : Jacques Lavallée
Doublage (France - 2005)
La défunte mariée : Laurence Breheret
Victor Van Dort : Bruno Choël
Victoria Everglot : Celine Mauge
Maudeline Everglot : Frederique Tirmont
Finnis Everglot : Georges Claisse
Nell Van Dort : Brigitte Virtudes
William Van Dort : Patrice Dozier
Barkis Bittern : Gabriel Ledoze
Elder Gutknecht : Jacques Ciron
Pasteur Galswell : Pierre Hatet
Mme Plum : Michelle Bardollet
Hildegarde : Lily Baron
L'asticot : Serge Faliu
La tête barman : Bruno Magne
Araignée Veuve Noire : Claire Guyot
Crieur public : Jean-Loup Horwitz
Ancêtre Everglot : Jacques Berthier
Bonejangles : Pierre-Francois Pistorio
Mayhew : Michel Fortin
Emil : Jean-Claude Donda
Sir Humphrey : Jean-Claude Donda
Mme Plum : Joanna Michel
Choeurs :
- Olivier Constantin
- Daniel Beretta
- Patrice Schreider
- Claudie Chauvet
- Claude Lombard
- Johanna Michel
- Alain Legros