Le Chaînon Manquant sort en salle au Québec le 12 avril 2019, puis le 17 avril 2019 en France sous le titre Monsieur Link. Il est proposé dans deux doublages francophones, dont les deux territoires font le même choix d'associer un humoriste à Link.
Monsieur Link est une créature surprenante, étonnamment intelligente et surtout incroyablement attachante. Dernier vestige de l'évolution humaine et unique représentant de son espèce, Monsieur Link se sent seul. Pour l'aider à retrouver ses parents éloignés, il approche l'explorateur Sir Lionel Frost, le plus grand spécialiste des mystères et des mythes. Accompagnés par l'aventurière Adelina Fortnight qui possède l'unique carte qui leur permettra d'atteindre leur destination secrète, ils se lancent dans une odyssée à travers le monde...
Imaginez un long métrage d'aventure qui en casserait tous les codes et en bafouerait les grandes lignes. Imaginez le contexte de la conquête de l'Ouest dont les protagonistes devraient cependant courir vers l'Est. Imaginez un film de monstres où le monstre serait plus humain que tous les humains du film. Imaginez un duo comique du début du siècle dernier qui expérimenterait une nouvelle façon de jouer du vaudeville. Monsieur Link, c'est un peu de tout ça à la fois et bien plus encore ! Une oeuvre irrésistiblement drôle et touchante, bourrée de calembours et de dialogues délirants, bref un long métrage produit par Laïka que je trouve aussi marquant que l'était Coraline en son temps. Il faut dire que, cette fois-ci, Laïka sort complètement de sa ligne de confort et lorgne, sans vergogne, sur le style propre au studio Aardman. Chris Butler, à la fois réalisateur et scénariste du film, adopte un ton assez irrévérencieux, disons même assez acidulé, propre à l'humour britannique, mais y adjoint une forme de candeur très américaine auquel il ajoute aussi un grain de folie délicieusement addictif. Au-delà de l'exploit technique d'un film d'animation en volume, Monsieur Link dispose aussi d'un sens du timing extrêmement soigné, une mise en scène rocambolesque et dynamique, composant un ensemble franchement palpitant. Pour parachever l'ensemble, Monsieur Link dispose aussi d'un atout inattendu : une touche française !
Vous en doutez ? Pourtant, c'est si évident. Monsieur Link s'inspire sans équivoque d'une des grandes oeuvres marquantes de la littérature francophone : Le tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Vernes. Sauf que Chris Butler nous refait l'oeuvre à l'envers, en zigzaguant dans tous les sens pour finalement revenir à son point de départ. Du richissime et flegmatique Phileas Fogg qui s'ennuie tellement qu'il lui vient l'idée de faire un pari, on passe à Sir Lionel Frost, un excentrique qui cherche à tout prix à être reconnu par ses pairs, quitte à passer pour un illuminé. L'avachi Lord Albermale se métamorphose en un bien plus cruel Lord Piggot-Dunceby. La jeune demoiselle en détresse Mrs Aouda se mue en l'aristocrate Adelina Fortnight qui n'hésite pas à avoir recours à un révolver lorsque c'est nécessaire. L'inspecteur Fix, très obstiné à poursuivre une chimère à travers le monde, se métamorphose en tueur à gage sous le nom de Willard Stenk qui va nourrir une haine féroce pour Frost. Enfin, le très futé Jean Passepartout, doté d'une grande force et d'une forte capacité tactique dans les situations compliquées est remplacé par le doux et candide Sasquatch, plus communément connu sous son nom américain Bigfoot. Parmi les autres emprunts fait à Le tour du monde en quatre-vingts jours, on retrouve les principales pérégrinations de Phineas Fogg, mais proposées dans un ordre différent : voyage en train, en bateau, en diligence et même à dos d'éléphant y sont tous croqués de façon très malicieuse.
Pour autant, on ne peut vraiment pas parler de plagiat, ni même d'une adaptation du roman de Jules Verne, mais plutôt d'une réinterprétation modernisée par Chris Butler d'un grand récit d'aventure tel qu'on le concevait durant le XIXe siècle. Et on ne pouvait vraiment pas faire plus grand spectacle dans le genre à l'époque de la publication du roman, 1872 pour rappel. Monsieur Link transfigure l'approche initiale en proposant une relecture plus en accord avec notre époque. Il en résulte une singularité inattendue qui rend l'aventure terriblement palpitante. Le long métrage enchaîne des moments de folie pure, de grandes scènes d'action, mais ne fait jamais l'impasse sur l'émotion pure. Dans l'esprit, on est donc à la croisée des chemins entre le délire animée de Les Pirates ! Bon à rien, mauvais en tout, l'aventure rocambolesque de Nelly et Simon - Mission Yéti et les sentiments de Abominable. L'autre aspect de Monsieur Link qui reste appréciable est la relation entre les personnages. Plus particulièrement l'amitié qui se noue progressivement entre Frost et Link. L'un est égocentrique, exclusivement intéressé par sa propre quête personnelle, tandis que l'autre s'émerveille d'un rien et prend tout ce qu'on lui dit au pied de la lettre. Ce qui offre les plus grands ressorts comiques du film tant le duo semble si mal assorti. Et, au bout de la quête, c'est autre chose que les deux compères vont découvrir à la clé.
Sur son aspect technique, Monsieur Link fait une très forte impression. D'abord, car elle est si parfaite, qu'on en oublie totalement qu'il s'agit d'un film en stop motion. Pourtant, une fois encore, Laïka emploie l'animation en volume sur la majorité des scènes du film, seuls quelques éléments trop compliqués ou impossibles à reproduire ont nécessité le recours à l'informatique. Ensuite, car j'ai rarement vu un film d'animation en volume aller aussi loin dans les scènes d'action. Sans aller jusqu'à surpasser Les Pirates ! Bon à rien, mauvais en tout, Monsieur Link fait jeu égal dans la maîtrise technique de la mise en scène. Laïka pousse le bouchon en proposant de nombreuses scènes d'action qui impressionnent, poussant le vice à reproduire de grandes scènes d'habitude plus propices aux jeux-vidéo en retournant carrément certains décors. Comme cette longue scène où le paquebot se mange une énorme vague scélérate et manque de chavirer pour de bon. Un exploit qui nécessite, non pas de tourner la caméra comme on le ferait dans un film classique, mais de retourner tout le décor image par image ! La plupart de ses scènes sont si réussies, qu'elles en deviennent terriblement captivantes. Mention spéciale à la grande séquence finale sur le pont de glace !
Plein d'énergie, captivant d'un bout à l'autre, Monsieur Link est un long métrage animé rempli d'audace et d'humour, avec une panoplie de personnages hauts en couleurs. L'intrigue, complètement tirée par les cheveux, offre une aventure palpitante où il n'est pas rare de rire devant les situations ubuesques et les savoureuses répliques des personnages. Mieux, on trépigne d'avance de savoir où les personnages vont bien vouloir nous emmener, et on en ressort tout ragaillardi. Bref, une bien jolie pépite à savourer jusqu'à la toute dernière minute du générique de fin !
Olivier J.H. Kosinski - 11 mai 2023
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Doublage (Québec - 2019)
Monsieur Chaînon : Laurent Paquin
Sir Lionel Frost : Marc Dupré
Adelina Fortnight : Magalie Lépine-Blondeau
Lord Piggot-Dunceby : Guy Nadon
Willard Stenk : Patrick Chouinard
Dora l'Ancienne : Élise Bertrand
Mr Collick : François Caffiaux
Doublage (France - 2019)
Mr Link : Eric Judor
Sir Lionel Frost : Thierry Lhermitte
Adelina Fortnight : Daniella Labbé Cabrera
Lord Piggot Dunceby : Féodor Atkine
Willard Stenk : Patrice Dozier
Dora l'Ancienne : Isabelle Gardien
Mr Collick : Pierre Tessier
Mr Link : Elliott Jenicot
Gamu : Hélène Patarot
Ama Lhamu : Jade Phan-Gia
Général Pugh : Thierry Garet