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Certains d'entre vous vont sans doute se demander quel peut bien être l'intérêt d'un comparatif doublage pour un film d'animation Disney qui dure moins d'une heure et dont la particularité est d'avoir un commentaire en voix-off et quelques minuscules lignes de dialogue pour Donald, José Carioca et Dingo. Et vous avez bien raison ! C'est pourquoi, exceptionnellement, je ne me livrerais pas vraiment à un pur comparatif, mais vais plutôt parler de la carrière francophone de Saludos Amigos à travers les époques. Car le long métrage détonne par rapport aux cinq précédentes grosses productions qu'étaient Blanche-Neige et les sept nains, Pinocchio, Fantasia, Dumbo et Bambi. Il ne ressemble pas vraiment non plus aux deux autres productions contemporaines que sont Le dragon récalcitrant, qui s'apparente à une auto-promotion déguisée sous un faux air de documentaire ludique, ni Victoire dans les airs, qui soutient surtout l'effort militaire sans pour autant être une oeuvre de divertissement. Jusqu'en 1945, toutes les rentrées d'argent en Europe avaient été coupées. Disney avait donc réduit la voilure, déjà avec Dumbo, afin de garder son studio à flot. C'était évidemment sans compter la grande grève générale des artistes Disney en 1941 qui va un peu tomber à pic. Le président Franklin D. Roosevelt envoie une délégation diplomatique en Amérique Latine, forçant quelque peu la main à Walt Disney, ce qui va quelque peu apaiser le conflit interne même si Walt va en être très affecté par la suite. Saludos Amigos, puis Les Trois Caballeros, sont une façon pour Disney de rentabiliser un peu ce voyage. Problème, Saludos Amigos détonne aussi par sa très courte durée, à peine plus d'une quarantaine de minutes, soit l'équivalent actuel d'un épisode de séries télévisée américaine (environ 40mn de fiction entrecoupée de 20mn de publicité pour tenir une heure sur une grille de programme TV), ce qui l'a contraint à être régulièrement associé à d'autres programmes à la seule exception de sa sortie initiale. Et bien figurez-vous que Saludos Amigos a connu un destin francophone à peu près similaire.
Comme vous le savez tous, à l'exception de Blanche-Neige et les sept nains, tous les films de l'entre-deux guerres ne furent pas diffusés en Europe. Il fallu attendre le 22 mai 1946 pour que Pinocchio signe le retour des films Disney sur le vieux continent. Saludos Amigos sort un peu moins d'un an plus tard en France, le 11 février 1947. Le film y est proposé en version française avec, comme c'était de coutume à l'époque, le célèbre Clarence Nash sur Donald. Bien qu'américain, Clarence Nash, qui inventa la célèbre voix pratiquement incompréhensible du canard, avait le don de pouvoir jouer le personnage dans plusieurs langues différentes : anglais bien évidemment, mais aussi espagnol, portugais, allemand et français. Le rôle de Dingo n'est pas doublé dans cette version, on entend la voix originale de George Johnson qui s'exprime en anglais. Le cas de José Carrioca est différent puisque, à l'image de Clarence Nash, José Oliveira double quelques lignes en français du personnage. La question du narrateur de ce tout premier doublage reste toutefois bien plus incertaine. De récentes trouvailles dans les archives de la SACEM (Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique) et du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) remettent ainsi en cause la narration effectuée par René-Marc. Dans les documents que j'ai consultés, il semble en effet que l'adaptation et - possiblement - le doublage aurait été assuré par un certain Georges Labrousse, qui officie également sur les premiers doublages de Fantasia et Les Trois Caballeros. Mais la formulation étant quelque peu alambiquée (il aurait été auteur "des dialogues et de la narration" d'après son contrat d'adhésion à la SACEM), je ne peux pas confirmer ou infirmer cette trouvaille. Une chose est sûre, l'hypothèse René-Marc, bien que fortement relayée sur Internet, fait débat depuis plusieurs années car son timbre vocal ne semble pas correspondre. La narrateur aurait-il été Georges Labrousse, que l'on entendait aussi dans Fantasia ? Le mystère reste entier.
Une fois la sortie initiale au format indépendant, Saludos Amigos est désormais systématiquement associé à une autre oeuvre, en tant qu'avant programme. En 1951, on retrouve Saludos Amigos en ouverture du nouveau film d'aventure de Disney L'île au trésor. Rebelote quelques années plus tard, le 19 décembre 1956, où il accompagne cette fois la ressortie en salle du grand classique Dumbo. A priori, tout laisse à penser que c'est le même doublage de 1947 qui est exploité à chaque fois. Arrive alors la grande partie énigmatique de la carrière francophone de Saludos Amigos : la période communément appelée "yéyé". En 1960, le studio Disney fait quelque chose qu'on lui connaît assez rarement : il concède les droits d'exploitation exclusif de Saludos Amigos à la Compagnie Lyonnais de Cinéma sur une période de cinq ans. Le contrat entre les deux parties stipule que Saludos Amigos ne peut être utilisé que dans le cadre exclusif d'une projection couplée avec le documentaire Les Tonnes de l'Audace jusqu'en 1965 dans tous les territoires francophones d'Europe, ainsi qu'en Afrique du Nord. Une idée qui semble au premier abord assez saugrenue, dans la mesure où Les Tonnes de l'Audace est un documentaire racontant la célèbre mission Berliet-Ténéré. Cette expédition, qui s'est déroulée en deux phases entre novembre 1959 et janvier 1960, avait pour objectif de prouver la robustesse des véhicules Berliet à travers de grandes régions sauvages et inexplorées d'Afrique du Nord avec des véhicules à moteur, tout en la couplant en une expédition scientifique. Pour autant, le choix d'associer Les Tonnes de l'Audace et Saludos Amigos garde une certaine logique, tout comme elle fait preuve d'audace. Car les deux oeuvres ont une approche de docu-fiction assez similaire, accompagné par un narrateur racontant des tranches de vie. C'est là qu'intervient un mystère autour du doublage du film.
Si rien ne laisse supposer que Saludos Amigos fut redoublé dans le cadre de ce contrat d'exclusivité de cinq ans, il reste pourtant une drôle d'énigme autour du film à cette époque. En continuant de fouiller dans les archives publiques de la SACEM, je découvre en effet qu'en date du 2 septembre 1965, la Société Parisienne de Sonorisation atteste que l'adaptation française du film est désormais attribuée à un certain Maurice Griffe. Que faut-il donc déduire de cette trouvaille ? La question mérite d'être posée, même si la réponse reste de l'ordre de l'expectative. Durant les années 1960, il y a déjà eu une première vague de redoublage de films Disney, en atteste la célèbre version de Blanche-Neige et les sept nains par Lucie Dolène qui fut produite en 1962. Je ne peux donc aujourd'hui échafauder qu'une théorie. Comme l'atteste la présence de Clarence Nash en 1947, le premier doublage de Saludos Amigos aurait très bien pu être réalisé aux Etats-Unis, mais exploité en France tel quel, d'où le nom de Georges Labrousse associé à ce doublage. Maurice Griffe aurait tout à fait pu prendre la suite, dans un doublage cette fois réalisé en France. Problème majeur de cette théorie : la chronologie est apparemment incohérente. Mettons tout cela sur la table. Jusqu'en 1959, rien ne laisse à penser qu'un redoublage ait été effectué. Sur la période de 1947 à 1959, c'est le doublage d'origine qui fut exploité en France. Incohérence du calendrier, le doublage de 1947 n'est officiellement acté dans les registres du CNC qu'en 1949, suite à plusieurs lettres de rappels à l'ordre de Disney. De 1960 à 1965, la Compagnie Lyonnais de Cinéma récupère l'exclusivité de la projection de Saludos Amigos. Impossible de savoir quel doublage fut utilisé durant cette période. Puis, à partir de 1965, la Société Parisienne de Sonorisation indique un nom différent pour l'adaptation française. Nouveau problème, aucune ressortie de Saludos Amigos n'est attestée avant 1974 en France.
A quoi peut donc faire référence cette note datée du 2 septembre 1965 ? Première possibilité, Saludos Amigos est exceptionnellement redoublé par la Société Parisienne de Sonorisation qui pourrait avoir choisi le même narrateur que pour le documentaire Les Tonnes de l'Audace par exemple. Cela aurait du sens d'avoir une oeuvre cinématographique uniformisée pour les spectateurs. Quant à la question de savoir pourquoi ce doublage aurait été déclaré uniquement en 1965, parce que Disney est semble-t-il coutumier des déclarations tardives dans les registres légaux français. Seconde possibilité, il y a bien eu un redoublage, qui aurait pu être utilisé dans le cadre d'une émission télévisée. Ce qui expliquerait pourquoi on ne trouve aucune trace d'une sortie cinéma durant cette période. De fait, il est impossible de savoir quel doublage fut proposé lors de la ressortie de Saludos Amigos en 1974, couplée au long métrage Un petit indien qui acte la toute dernière sortie française du film en salle. Toujours est-il que la toute première VHS locative de Saludos Amigos au début des années 1980 proposera bel et bien le doublage de 1947, et qu'il en restera ainsi jusqu'à la fin des années 1990. Qui sont donc ces Georges Labrousse et Maurice Griffe ? Est-ce que l'un est l'adaptateur, l'autre le narrateur du doublage de 1947 ? Ce qui expliquerait cette incohérence manifeste entre deux documents officiels. Ou bien il y a bien eu un redoublage intégral en 1965 dont on a perdu toutes traces aujourd'hui ? Le mystère est donc total.
La situation du film va cependant un peu s'éclaircir au début des années 2000, même si Saludos Amigos va d'abord faire escale au Québec. Lorsque les tous premiers DVD sont lancés aux Etats-Unis (avec Alice au pays des merveilles si ma mémoire est bonne), Disney va lancer sa "Gold Collection", elle-même déclinée en VHS. Saludos Amigos rejoint cette collection le 02 octobre 2000 là-bas. En France, Disney préfère choisir de lancer sa célèbre, tout autant que controversée, collection numérotée. De plus, à cette époque, Saludos Amigos est considérée comme une oeuvre assez mineure, dont les VHS de 1991 étaient parfois encore disponible dans le commerce. De fait, la "Gold Collection" ne traverse donc pas l'Atlantique, contrairement au Québec qui va dès lors concocter un doublage propre à la grande province canadienne francophone. Plusieurs films vont d'ailleurs avoir droit à ce traitement spécial, en l'occurrence Le Roi Lion II, Winnie l'ourson 2 et La belle et la bête 2 notamment, avant que Disney France ne fasse le grand ménage en éradiquant ces doublages québécois par la suite à la seule inexplicable exception de La belle et la bête 2. Toujours est-il que Saludos Amigos se voit offrir des comédiens québécois. Mario Fraser récupère le rôle du narrateur pour la première moitié du film avec Donald au Pérou et sur Pedro le petit avion. Benoît Rousseau prend la suite en étant à la fois le narrateur, la voix de Dingo, mais aussi de l'autruche argentine, pour la partie dédiée aux Gauchos. Enfin, Sébastien Dhavernas et Marco Ledezma récupèrent les rôles de Donald et José Carioca pour la dernière partie du film. Curieusement, la version québécoise fait le choix d'éliminer le doublage français de 1947 de José Oliveira. Le résultat n'est pas toujours très heureux d'ailleurs pour ces deux-là, car le montage alterne entre les voix anglophones originales et francophones, les raccords n'étant pas toujours très bons.
Durant les années 2000, Disney France prend finalement la décision de tout remettre à plat avec ce film, en proposant un ultime doublage qui sera commercialisé à partir de 2007, année où Saludos Amigos rejoint la collection numérotée française, puis est imposé dans le reste des territoires francophones jusqu'à aujourd'hui. Disney France fait d'abord le choix d'imposer un unique narrateur pour l'ensemble du film, à savoir Philippe Catoire. Ce qui est beaucoup cohérent par rapport à la version québécoise, même si elle a aussi ses qualités. Tout naturellement, Disney France fait le choix d'imposer les voix officielles françaises des personnages. Gérard Rinaldi double la seule ligne de dialogue de Dingo quand celui-ci apparaît à l'écran, puisque le reste du moyen métrage le mettant en scène est dépourvu de dialogue. Sylvain Caruso récupère Donald Duck qu'il maîtrise depuis plusieurs années avant ce film, mais Disney conserve parfois encore la version française de Clarence Nash en alternance. Le montage n'étant pas toujours très heureux là non plus. Pour José Carioca, Disney impose Marco Ledezma qui remplace cette fois la totalité des dialogues français de José Oliveira, ce qui passe effectivement un peu mieux que l'étrange mélange sur Donald Duck, mais qui n'arrive pas à la cheville de l'interprétation originale de José Oliveira.
Dans les faits, je dois reconnaître que seul le premier doublage de 1947 de Saludos Amigos sonne le plus authentique d'entre tous. Les deux doublages plus récents ont une saveur trop moderne qui détonne complètement par rapport au contexte du film, tandis que les nombreux bricolages entre la bande originale anglaise et le mixage de dialogues de plusieurs comédiens différents font tâche. Le décalage de plus de 50 ans entre le visuel et le son est beaucoup trop prononcé, les doublages récents ne s'accordent plus vraiment au contexte de l'époque où le film a été tourné. On notera d'ailleurs que le doublage français le plus récent du film comporte un trou, puisque le redoublage fut effectué alors que la scène de Dingo fumant une cigarette avait originellement été censurée. Au final, il restera ce grand mystère entourant cet hypothétique redoublage durant les années 1960, dont aucune trace concordante ne permet de confirmer ou infirmer son existence.
Nota Bene : La liste des comédiens ayant contribué à ces doublages francophones est disponible dans la fiche dédiée du film. Merci de vous y reporter.
Olivier J.H. Kosinski - 13 septembre 2024