Analyse de l'oeuvre
Pendant une décennie, les studios d'animation Disney connaissent un fulgurant renouveau et entrent dans une période de gloire cinématographique qui va rapidement faire des envieux. Disney redéfinit son concept, relance la machine commerciale avec des films d'animation musicaux et enchaîne les succès colossaux au box office. Le 03 avril 1994, à quelques semaines de la sortie en salle de Le roi lion qui va tout balayer sur son passage, Frank Wells disparaît brutalement. Grand contributeur de ce renouveau, parmi d'autres grandes figures de talents, Jeffrey Katzenberg pense alors qu'il va naturellement hériter du poste qu'il laisse vacant. Mais il néglige un détail : absolument personne ne veut de lui à ce poste. Avec beaucoup moins d'éclats que les frondeurs dirigés par Don Bluth deux décennies plus tôt, qui avaient quittés les studios Disney avec pertes et fracas, Jeffrey Katzenberg démissionne puis rumine sa froide revanche en s'associant avec Steven Spielberg et David Geffen pour fonder DreamWorks SKG, auquel il s'attribue naturellement le poste de président de la branche animation, tout en emportant sous le manteau quelques concepts de futurs longs métrages. Or, au-delà du fait qu'il passe pour un très mauvais joueur qui ressasse sa défaite, Jeffrey Katzenberg a un énorme atout dans sa manche : il a le nez creux. Il comprend très tôt que la 3D est désormais le nouvel horizon profitable de l'animation. Et ça, non seulement les studios Disney ne le voient clairement pas venir mais, en plus, ils n'y sont pas du tout préparés. Certes, Disney a révolutionné l'animation en ajoutant de nombreuses scènes 3D dans ses films d'animation, dès Taram et chaudron magique, mais la plupart du temps ces effets numériques révolutionnaires sur la période des années 1990 sont le résultat de la sous-traitance avec d'autres studios associés. Par exemple, on trouve toujours ça étonnant de voir apparaître une toute petite mention pour un certain Pixar dans les crédits de la scène du bal dans La belle et la bête. Par la suite, c'est ce même "petit studio" qui va révolutionner le monde de l'animation avec son célèbre Toy Story.
Pendant ce temps, mieux qu'un remake de la guerre froide dans le monde de l'animation, Jeffrey Katzenberg va savamment élaborer un plan pour saborder - littéralement - le prestigieux studio Disney. Et le bougre y arrive sans aucune peine, Disney n'ayant plus que ses yeux pour pleurer ! Au début des années 2000, le paysage de l'animation a totalement changé, DreamWorks Animation SKG écrase son concurrent sur son propre terrain de prédilection. Disney se découvre un rival redoutable et inattendu, tandis que tous leurs films 2D enchaînent les déconvenues en salle. A cela s'ajoute leur politique de suites conçues pour le marché vidéo qui noie complètement le paysage. Non seulement le bateau coule mais, au lieu d'écoper, Disney brandit une hache pour se saborder lui-même de l'intérieur ! Pourtant, là encore, Disney se repose sur ses lauriers, s'appuyant sur son juteux contrat avec Pixar où Disney joue simplement les distributeurs tout en faisant main basse sur le gros pactole en s'octroyant le quasi-monopole des droits des franchises des films du jeune studio de John Lasseter. On comprend d'autant mieux pourquoi Disney et Pixar vont s'embrouiller en 2005 ! C'est donc sur ce terrain miné que Disney décide de se lancer dans l'arène de la 3D, sans aucune réelle préparation, si ce n'est le film expérimental Mickey - Il était deux fois Noël en 2004. Au passage, Disney sacrifie Frère des ours et, surtout, La ferme se rebelle, dont Disney ne soutient pas les artistes et n'assure qu'une communication publicitaire très sommaire, pour ne pas dire inexistante pour le second. La 2D est désormais morte aux yeux de Mickey.
DreamWorks Animation SKG et Pixar caracolent en tête des productions animé du début du siècle ? Qu'à cela ne tienne, Disney fait un énorme matraquage publicitaire pour son "premier" grand classique intégralement réalisé en 3D ! Avant même qu'on en sache plus sur lui, Chicken Little montre sa face absolument partout, de très longs mois à l'avance. Impossible d'échapper au marketing savamment orchestré par Disney, y compris en France jusqu'à s'installer sur des murs entiers à Disneyland Paris. Disney veut récupérer les couvertures médiatiques d'un secteur où il a longtemps été le seul maître à bord et dont on lui a chipé sa souveraineté ! Disney ne lésine pas sur les moyens, plus qu'un renouveau, Chicken Little est annoncé comme une véritable révolution, la consécration ultime des années de traditions dans le secteur de l'animation. Rien que ça ! La fâcheuse conséquence de tout ce tapage ? La violence de la claque qu'on se prend en pleine figure une fois qu'on découvre le long métrage ! C'est simple, Disney foire absolument tout. La montagne n'accouche pas d'une souris, elle régurgite carrément une véritable immondice ! Une bouillie infâme et nauséabonde, remplie de personnages grotesques courants après des enjeux risibles et regorgeant de clins d'oeils outranciers ! Absolument rien ne va dans Chicken Little, qui tente de piller tout ce qui faisait l'originalité de la concurrence, mais dans un fourre-tout si infâme qu'on cherche encore à comprendre comment un tel navet a pu être pondu par Disney.
Par quoi faut-il commencer pour prouver à quel point Chicken Little est une abjection ? Je ne saurais le dire. On a beau l'attraper par n'importe quel côté, on en ressort inévitablement complètement souillé par la crasse. Le long métrage regorge d'idées foireuses, bénéficie d'une mise en scène déplorable, contient des personnages détestables pour ne pas dire vulgaires, jouit d'une technique d'animation effroyable, comporte un scénario indigeste et incohérent, sans compter ses innombrables références à la pop culture dont leurs effets tombent complètement à plat. Chicken Little est un miasme de tout ce qu'on peut faire de pire en animation, une constatation d'autant plus effroyable qu'elle émane du studio qui avait toujours mis un point d'honneur à offrir des expériences cinématographiques irréprochables. Pour la première fois de son existence, Walt Disney Animation Studios a touché le fond du gouffre : le néant artistique. Même dans le gros ratage médiatique qu'avait été Taram et le chaudron magique en son temps, on réussit à y trouver des qualités ici et là. Dans Chicken Little il n'y a absolument rien à sauver, on n'arrive même pas à le prendre à pitié ! Et la bérézina commence dès la honteuse scène d'ouverture où Disney renie en moins de deux minutes son glorieux passé, dans une fausse bonne idée introductive qui tourne au désastre. Shrek se servant d'un livre de conte comme papier toilette était autrement plus simple, inattendu et efficace que cette introduction alambiquée, pas drôle et forcée ouvrant Chicken Little.
J'arrive d'ordinaire à trouver quelques points positifs dans les films d'animation. Je n'y parviens pas avec Chicken Little. Il est par exemple impossible de s'attacher au moindre personnage, enfants comme adultes. Mention spéciale à cette relation père/fils complètement ratée que l'on a honte de regarder quand on repense à la justesse et la délicatesse de cette même relation filiale qui avait été proposée dans Dingo et Max ainsi que dans La planète au trésor - Un nouvel univers des années plus tôt. Le père est un incapable, n'hésitant pas une seule seconde à renier son propre fils pour préserver sa propre réputation, tandis que le fils est un illuminé qui réagit sans réfléchir et bien incapable de s'affirmer auprès des autres. On se demande même comment il a pu réussir à se trouver des amis. Son entourage comporte d'effroyables personnages clichés, dont un poisson sous cloche dont on ignore ce qu'il vient faire dans le long métrage tant il est inutile, si ce n'est se trémousser sur de grands airs musicaux hors de propos. D'ailleurs, puisqu'on en parle, la bande originale de Chicken Little est une véritable cacophonie sans charme, sans cohérence et sans rythme. Le long métrage place tout un tas de scènes impliquant de grands tubes internationaux sans que jamais une seule fois le long métrage ne le justifie. Que viennent faire les Spice Girls dans une telle galère, on se le demande ! Toutes ses scènes pitoyables s'apparentent à un meublage absolument indigeste.
En terme de scénario, Chicken Little brasse large en pillant sans la moindre retenue tout son propos de centaines de fictions américaines en tout genre, cela passe de Signes à La guerre des mondes, puis de Princesse malgré elle à The X Files - Le film dans un misérable bordel narratif sans queue ni tête. Encore plus atroce, Disney pioche la quasi-totalité de l'intrigue et du caractère de ses personnages de Jimmy Neutron, un garçon génial, proposé en salle en 2001 et dont découlera une série télévisée produite par Nickelodeon Productions. Chicken Little est un horrible pastiche de Jimmy Neutron, à peu de choses près, mais au travers d'un miroir déformant qui rend tout cent fois pire que l'original. Ne parlons même pas du talent technique désertique du long métrage qui arrive, tout de même, à être plus moche que Toy Story tourné dix ans plus tôt. Les décors sont ternes, sans vie et figés, tandis que les personnages, aux physionomies difformes de très mauvais goûts, ne s'accordent pas avec eux. Il arrive assez fréquemment que l'on constate une dissonance visuelle où les personnages semblent flotter, comme détachés des décors, comme s'ils n'avaient pas de masse et n'étaient pas soumis à la gravité. On ne négligera pas non plus de souligner cet aspect plastique effroyable des personnages, même sur leurs parties "organiques". Je n'avais jamais vu de plumes en plastique aussi peu vraisemblables que dans Chicken Little. C'est tout bonnement affreux et absolument incompréhensible de la part de Disney.
Aujourd'hui comme hier, Chicken Little prouve que même une compagnie aux solides épaules peut être capable du meilleur comme du pire. Chicken Little est un cas d'école assez unique en son genre où l'on a assisté au suicide artistique en direct de l'empire Disney. Il va de soi que sans le contrat liant Disney et Pixar, le premier a été à deux doigts de s'écrouler de tout son long après une décennie précédente pourtant triomphale. Les films suivants produits après Chicken Little par Walt Disney Animation Studios tireront d'ailleurs aussi la gueule et ne sortiront pas non plus sous de meilleures hospices. Il faudra d'ailleurs attendre le massage cardiaque salutaire de John Lasseter, dont le studio finit par être racheté et dont il prend les commandes de la branche animation, pour remettre enfin Disney sur de bons rails. Quant à cet odieux Chicken Little, qu'on aimerait ne jamais avoir connu, il est et restera à jamais une horreur sans nom.
Olivier J.H. Kosinski - 16 septembre 2022
