Analyse de l'oeuvre
Je dois faire un aveu, au bout de quatre films, il y a eu méprise de ma part sur les intentions de 10th Ave Productions. J'ai eu la malencontreuse idée de comparer ce jeune studio québécois avec Wizart Animation, le studio russe né à peu près à la même époque. Or, s'il est rapidement devenu évident que Wizart Animation nourrissait une très forte ambition de produire des longs métrages à destination d'un public le plus large possible, multipliant les films de plus en plus à grand spectacle, cela n'a finalement jamais été le cas de 10th Ave Productions. Leur quatrième production, Félix et le trésor de Morgäa, ne fait que confirmer la tendance. Il s'agit ici, une nouvelle fois, de proposer un film d'animation qui s'adresse principalement au jeune public, mais qui ne serait pas pour autant renié par les adultes qui les accompagnent. En gardant ça en tête, mon prisme de vue s'en est trouvé modifié au point d'admettre que 10th Ave Productions propose finalement leur meilleure production à ce jour. Film simple, aventure efficace, propos allant droit au but et, pour qui n'a pas eu l'idée de consulter les matériaux publicitaires au préalable, propose un twist amusant et inattendu sur la réalité du trésor dissimulé sur l'île (détail évidemment totalement éventé par la bande annonce). Il en découle une intrigue qui commence comme un film d'aventure mais se termine finalement comme un film d'espionnage à rebondissement. Deux genres qui se marient plutôt bien entre eux.
Alors que le titre ne le laisse pas vraiment entendre, Félix et le trésor de Morgäa est en réalité l'histoire de deux hommes que la vie a brisé. L'un, Félix, est encore un jeune garçon qui a perdu son père dans des circonstances inconnues depuis deux longues années. Tout juste sait-il qu'il a disparu en mer, car personne n'a jamais réussi à le retrouver. Tandis que sa mère, l'élevant désormais seule ainsi que sa jeune soeur, semble avoir réussi à surmonter l'épreuve et tente de passer à autre chose (en décidant notamment de mettre leur maison en vente), Félix s'obstine dans son refus de croire à la mort de son père. Il profite alors du départ de sa mère pour quelques jours de vacances pour baratiner sa tante, censée le surveiller, pour se lancer seul dans l'océan. Une entreprise qui, évidemment, échoue lamentablement. De l'autre, on a un vieux pêcheur, Tom, qui a depuis longtemps oublié ce qu'était avoir une vie de famille. Toutefois, âge avancé et expérience aidant, il se laisse finalement convaincre par Félix de tenter une fois encore de partir au secours de son père, non pas par pitié, mais plutôt dans une démarche qui permettrait enfin à Félix de faire son deuil. Bien évidemment, une fois débarqués sur l'île mystérieuse, ils font rapidement la découverte d'un endroit étrange qui va tout remettre en question. L'intrigue se transformant alors en un problème quelque peu épineux : Félix avait peut-être finalement raison d'espérer, mais retrouver son père et le ramener chez lui pourrait à jamais compromettre le destin de l'île et ses occupants. Il en résulte un tas de rebondissements certes attendus (dans le cadre d'un film pour enfants), mais assez amusants pour tenir le spectateur éveillé tout du long.
Avec Félix et le trésor de Morgäa, je trouve que 10th Ave Productions a désormais dépassé sa phase de rodage. L'évolution graphique n'est certes pas aussi phénoménale qu'elle peut l'être chez d'autres studios, mais il est indéniable que le studio québécois a désormais trouvé sa marque de fabrique. Avec son approche réaliste, La légende de Sarila était un film plutôt froid et terne dans son animation. Le coq de St-Victor, au contraire, était une oeuvre plus délurée, certes encore perfectible, mais qui avait un certain cachet. Nelly et Simon - Mission Yéti, enfin, avait transformé l'essai en apportant, je ne sais pas exactement quel bon terme utiliser, disons une forme de granularité qui donnait à l'oeuvre un "esprit papier". En d'autres termes, le long métrage aurait tout à fait pu être la transposition d'un ouvrage graphique qui prenait vie à l'écran. Félix et le trésor de Morgäa reprend tout à fait cette idée de base. Même si on ne prend pas la peine de mettre réellement en pause le film, à de très nombreuses reprises, on se surprend à considérer certaines scènes comme tout droit sorties d'un conte graphique pour enfants. Vous savez, ces petits livres emplis d'images et contenant très peu de texte, que vous lisez le soir avant d'endormir vos enfants ? Félix et le trésor de Morgäa c'est tout à fait ça, sauf qu'au lieu d'un récit graphique dont on tournerait les pages, c'est un film graphique qui défile à la place devant nos yeux. Pour autant, le propos du film reste assez mature pour ne pas égarer les adultes, si tant est que l'on garde son âme d'enfant, car le film regorge de bonnes idées et que l'esthétique du film est très bien utilisée pour servir correctement le récit.
De fait, Félix et le trésor de Morgäa reste un film d'animation très sympathique. Au-delà du choix graphique, très réussi en fin de compte, c'est surtout l'idée d'avoir combiné deux intrigues a priori sans aucun lien entre elles (la disparition du père de l'un, la perte de son amour de jeunesse pour l'autre) qui fonctionne le plus. Très habilement, le long métrage réussit à nouer le destin des deux personnages principaux dans une intrigue où seule l'union du duo leur permet d'avancer. De façon aussi très amusante, même si cela dure qu'un très bref moment avant qu'il ne se reprenne, on se plaît aussi à voir que le plus tenté des deux par le curieux trésor de l'île s'avère être Tom, et non Félix. D'ordinaire, c'est souvent le plus jeune qui s'égare, alors que le plus vieux le remet sur le droit chemin. Ici c'est précisément le contraire qui se produit : Félix s'avérant soudain plus mature, alors que Tom se plaît à redevenir un enfant, même brièvement. A cela s'ajoute une conclusion plutôt inattendue, où le destin de l'île finit par être définitivement scellé (cela reste audacieux pour un film pour enfant) et où l'intrigue se termine sur une morale toute simple : il n'y a rien de mieux que d'accepter le temps qui passe du moment que l'on reste aux côtés de ceux qu'on aime. Une jolie fable en fin de compte.
Olivier J.H. Kosinski - 12 janvier 2023
