Analyse de l'oeuvre
Il serait particulièrement malvenu de négliger l'animation espagnole, surtout lorsqu'on sait qu'une bonne partie de ses animateurs a souvent fait ses classes à Walt Disney Animation France. D'ailleurs, un petit groupe d'entre eux n'a pas attendu que l'ancien studio parisien ferme définitivement ses portes, puisqu'ils se sont lancés dans un gros projet d'animation 2D basé sur une célèbre intrigue inspirée par la pièce de théâtre de Corneille, La légende du Cid. Après une petite dizaine d'années, Filmax Animation disparaît toutefois du paysage de l'animation espagnole. Son successeur spirituel est ensuite tout désigné, Ilion Animation Studios qui démarre sur les chapeaux de roue avec Planète 51, comédie extra-terrestre légère où le rôle traditionnel des protagonistes s'inverse complètement. L'humain devant ainsi un alien pour le peuple d'autochtones qu'il rencontre. Un succès qui attire l'oeil de la compagnie américaine Skydance Animation, qui a désormais à sa tête un certain John Lasseter, qui acquiert le studio d'animation espagnol sans pour autant le fermer. Ilion Animation Studios se transformant ainsi en succursale européenne du géant américain. Kandor Graphics c'est un peu le troisième larron espagnol inconnu au bataillon, alors que ce studio existe pourtant depuis 1992. Comme la très grande majorité des studios qui se sont lancés dans l'animation 3D, à l'exception de Walt Disney dont le studio d'animation est au contraire à la base de tout, Kandor Graphics est pendant de nombreuses années surtout dédié aux effets spéciaux de films. Paramount Pictures et Lucas Film ayant par exemple déjà fait appel à eux auparavant, tout comme ils ont aussi mis la main à la pâte pour épauler Filmax Animation.
L'autre particularité de Kandor Graphics est que le studio est dans la sacoche d'Antonio Banderas. Cela ne signifie pas pour autant que ce dernier se consacre à la réalisation ou à l'écriture des scénarios. Il s'agit juste d'un accord financier entre les deux parties afin de produire cinq longs métrages espano-américains, dont le tout premier film d'animation 3D fut Félix & Cie en 2008 où, pour l'occasion, le studio d'animation prend le nom de Kandor Moon. On retrouve le même studio deux ans plus tard avec La vieille dame et la mort, un court métrage décalé où une personne âgée sur le point de mourir voit ses dernières heures aller dans une direction très inattendue. C'est pourtant le français Logorama qui remporte l'oscar du meilleur court métrage en 2010. Encore trois ans plus tard, c'est donc au tour de Justin et la légende des chevaliers d'entrer en scène. Un second long métrage d'animation qui va, curieusement, recevoir des critiques particulièrement acerbes à sa sortie en salle en Espagne, ce qui le condamne à être distribué directement en vidéo en France près de trois ans plus tard. Je dois avouer ne pas vraiment comprendre pourquoi Justin et la légende des chevaliers a été conspué à l'époque. A-t-il été survendu comme un gros blockbuster parce que Anthonio Banderas y est le premier nom crédité lorsque le film commence ? C'est possible car le long métrage a certaines ambitions, reste assez honorable dans son ensemble, parfois plutôt bien senti dans certaines scènes comiques, mais il lui manque effectivement un petit quelque chose qui aurait pu en faire un grand film d'animation. Pour autant, Justin et la légende des chevaliers reste globalement sympathique, c'est à n'y rien comprendre.
De mon point de vue, le seul gros défaut du film reste principalement son antagoniste. Sir Héraclio est un ancien chevalier déchu, qui a commis l'irréparable en voulant conserver sa gloire d'autrefois. En se refusant d'abord de donner la moindre explication sur le personnage, le long métrage donne une aura assez mystérieuse à Sir Héraclio. L'intrigue tend même, à un moment donné, à rendre ses actions légitimes dans la mesure où plane un doute autour de sa quête vengeresse. Pourtant, au milieu du film, le soufflet retombe complètement en faisant du personnage un méchant parce qu'il a toujours été méchant, point barre. Problème, il n'est pas aussi bien écrit que subtil que peuvent l'être certains célèbres personnages Disney, comme Maléfique par exemple. Elle a une certaine dignité, un comportement cohérent, ses objectifs sont clairs et, surtout, elle crève littéralement l'écran à chacune de ses apparitions. Au contraire, Justin et la légende des chevaliers propose un compromis assez malheureux, en hésitant entre le fait qu'il s'agit d'un tueur mais sans pour autant lui donner l'aura convenable. Rien à voir non plus avec Perceval McLeach par exemple qui ne laisse planer aucun doute dès qu'il apparaît à l'écran. Sir Héraclio en est malheureusement réduit à un personnage prétexte, qui n'entre finalement en jeu qu'à la toute fin du récit, puisque ce sont ses acolytes qui s'affairent tout du long.
Mais en mettant de côté les raisons un peu absurdes qui poussent Sir Héraclio à tenter un renversement, le reste des personnages du film est assez cocasse. Bien que la majorité d'entre eux sont réduits à des caricatures, il faut bien avouer qu'on les trouve tous assez drôle. Justin est un jeune naïf rêvant à une vie d'aventure sur les traces de son glorieux grand-père, mais ne réalise pas vraiment dans quel pétrin il se fourre. L'une des séquences du film, façon comédie, rend d'ailleurs hommage à la phase d'apprentissage d'Hercule de Disney. Sur la durée, Justin passe du jeune gaffeur à celui d'un jeune homme légèrement plus mature qui tire des leçons de ce qu'on lui enseigne. Bien que déjà éperdument amoureux d'une jeune fille qui n'a rien à faire de lui, Talia est un amusant contrepoint puisqu'elle est une jeune fille blasée par la vie et qui ne se laisse pas facilement marcher sur les pieds. Plus délirant, l'enchanteur Melquiades souffre d'un énorme dédoublement de la personnalité assez cocasse, une sorte d'alternative détraquée mais sympathique du célèbre Gollum. Plus intéressant, Sir Blucher est probablement le personnage le plus intéressant du film. C'est peut-être même l'un des rares, si ce n'est le seul, qui n'ont pas une personnalité comique. Il se révèle un excellent mentor pour Justin, qui plus est renforcé par l'excellent doublage français de Michel Papineschi.
D'un point de vue technique, Justin et la légende des chevaliers reste une très belle performance, surtout vis-à-vis de Félix & Cie qui s'apparentait surtout à un coup d'essai. Il y a un certain contraste entre les arrières-plans, qui sont souvent fonctionnels et fixes, tandis que les personnages sont au contraire dans leur ensemble assez bien animés. Cela se réduit sans doute à une question de budget, mais on reste dans le standard haut de ce qui est réalisé en Europe. C'est fluide, soigné, coloré, très vivant, tandis que les personnages sont particulièrement expressifs. Justin et la légende des chevaliers propose également de grandes scènes d'action assez impressionnantes, techniquement parlant. On peut en dire autant de la bande originale, composée par le britannique Ilan Eshkeri qui accompagne parfaitement le récit en étant à la fois épique, sensible et drôle. Cela fonctionne assez bien dans l'ensemble, même si rien ne reste pour autant en mémoire. Mais comme cela accompagne parfaitement l'action, cela reste appréciable. Seuls bémols à mon sens, les deux tubes pops inclus dans le film, dont le ton ne colle pas vraiment au thème du film, et semblent avoir été mis là pour suivre cette tendance américaine à toujours coller des chansons pops dans les films d'animation pour enfants.
Dans les grandes lignes, Justin et la légende des chevaliers reste donc au final un long métrage animé très sympathique qui ne mérite finalement pas ce mépris qu'il s'est lourdement pris en pleine face à l'époque. Le long métrage n'a pas d'autres ambitions que de faire passer un bon moment à ses spectateurs en n'y collant d'ailleurs aucune morale particulière, si ce n'est de divertir par l'absurde. Sa contre-performance au box office en 2013 a semble-t-il compromis le destin animé de Kandor Graphics qui n'a, depuis lors, produit aucun autre film d'animation malgré le contrat de cinq films passés avec la société d'Antonio Banderas. C'est dommage mais, en même temps, s'il s'agit réellement de leur dernier film, on ne pouvait sans doute pas mieux conclure cette folle aventure.
Olivier J.H. Kosinski - 17 mars 2024
