Accueil Rechercher Contact Menu Ξ
x
Chercher dans Analyses Catalogue Dossiers Actualités Petites Renconstres

Magic Frame Animation / Voronezh Animation Studio
Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées

Rebellious

Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées est le 9e long métrage de, feu, le studio d'animation russe Wizart Animation, désormais connu sous le nom de Voronezh Animation Studio. Il sort au cinéma en Russie le 24 août 2023. Son existence est ensuite dissimulée sous le nom de Rebellious en Occident, distribué par ce qui s'apparente être une société-écran nommée Magic Frame Animation basée au Royaume-Uni et à Chrypre, probablement pour échapper aux sanctions internationales, où il est proposé en version anglaise dans certains pays dès octobre 2024. Il est actuellement inédit en français.

L'intrigue

La Princesse Ludmila, au caractère bien trempé, est enlevée par le sorcier maléfique Chernomor le soir même de son mariage. Rouslan, son fiancé érudit mais dénué de combativité, doit utiliser son intelligence dans une quête épique pour la retrouver pendant qu'elle défie avec audace ses ravisseurs et prépare une évasion audacieuse.

Analyse de l'oeuvre

A moins de n'avoir pas lu ma récente analyse de The Snow Queen and the Princess, vous n'ignorez pas que le studio russe Wizart Animation a définitivement mis la clé sous la porte en août 2022. De ses cendres à peine fumantes est né le studio Voronezh Animation qui allait se charger de réaliser de nouveaux longs métrages inspirés par les contes traditionnels Russe. Après avoir tenté, pendant dix ans, de conquérir la planète entière, principalement le monde Occidental, avec un certain succès soyons franc sur ce point, le studio d'animation russe a refermé complètement sa coquille. Alors qu'en 2016 La Princesse des glaces réunissait une belle brochette de stars internationales, y incluant même le titre This Is The Life de l'artiste écossaise Amy Macdonald, huit ans plus tard, il ne fait plus aucun doute que Voronezh Animation a décidé de se réorienter ailleurs. En cause, l'opération militaire "spéciale" lancée en Ukraine par Vladimir Poutine le 24 février 2022. Les conséquences ? De nombreuses sanctions internationales qui ferment immédiatement l'exportation des films d'animation de l'ancien studio Wizart Animation. The Snow Queen and the Princess est ainsi le premier à en subir les conséquences, le film d'animation n'étant distribué en version anglophone que dans très peu de territoires, principalement en moyen et extrême orient. Conscient que le marché international s'est totalement refermé, Voronezh Animation prend alors une décision totalement inattendue. En juin 2022, il crée, plus ou moins, une sorte de société écran dont le siège social se situe à Chypre et au Royaume-Uni et qui prend alors le nom de Magic Frame Animation.

On pourrait croire qu'il s'agit là d'une affreuse affabulation de ma part. Pourtant, plusieurs indices concordants semblent bien démontrer que Magic Frame Animation et Voronezh Animation ne sont qu'une seule et même entité. D'abord, il y a les dates. Magic Frame Animation naît en juin 2022, Voronezh Animation en août 2022. Ensuite, The Snow Queen and the Princess sort sous le label Wizart Animation en Russie, mais sous le nouveau nom de Voronezh Animation en dehors de ses frontières. Immédiatement, les pays occidentaux décident alors de ne pas le distribuer. Il n'est alors proposé que dans un panel réduit de pays du moyen orient, ce qui empêche le retour sur investissement du film. Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées sort en Russie le 24 août 2023 sous le label Voronezh Animation en exclusivité sur ce seul territoire, mais réapparaît ensuite comme un long métrage inédit soit disant produit en 2024 par un studio différent, Magic Frame Animation, sous le titre anglophone de Rebellious. Certes, on pourrait ainsi croire que Magic Frame Animation est simplement un sous-traitant indépendant, dont le film aurait été distribué en exclusivité en Russie par Voronezh Animation. Sauf que, d'une part, la technique d'animation de Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées est strictement la même que celles des précédents films produits par Wizart Animation et, d'autre part, Magic Frame Animation annonce sur son site officiel produire une suite directe Hansel et Gretel - Agents Secrets, tandis que Voronezh Animation n'annonce plus aucun autre film d'animation sur son site. Il ne fait, dès lors, plus aucun doute que les deux studios soit disant indépendants ne sont en réalité qu'une seule et même entité.

Toujours est-il, quand bien même ce que j'aurais écrit précédemment serait totalement faux, Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées est une adaptation d'un célèbre conte russe prenant la forme d'une poésie narrative, Rouslan et Ludmila, écrit par Alexandre Pouchkine en 1820. Ce conte raconte l'histoire d'un puissant Roi, Vladimir le Soleil, qui, entouré de ses nombreux fils guerriers, donnait la main de sa fille cadette Ludmila au Prince Rouslan le Brave. Plus intéressé par le fait de vivre une folle nuit de noce auprès d'une Princesse vierge (point essentiel du conte) que par véritable amour, Rouslan, à peine déshabillé dans les appartements princiers, voit sa dulcinée être kidnappée sous ses yeux par une créature brumeuse. S'empressant de signaler la disparition auprès de Vladimir le Soleil, celui-ci entre dans une colère noire, accusant le Prince de n'avoir pas réussi à sauver sa fille. Il décide alors de briser le mariage, de toute façon non consommé, et offre à celui qui ramènerait sa fille à la fois sa main et la moitié de son Royaume en récompense. Dans l'assemblée Rogdaï, Pharlaf et Ratmir, les rivaux de Rouslan, saisissent tout heureux cette belle opportunité d'écarter l'ancien prétendant. S'ensuivent alors de nombreuses péripéties où les hommes affrontent diverses épreuves, l'un finissant même par s'abandonner à des plaisirs charnels (je vous avais dit que c'était un point essentiel), tandis que Ludmila découvre, avec horreur, que l'auteur de son enlèvement est un sorcier nain et bossu dont le principal plaisir dans la vie est de faire perdre leur virginité aux jeunes filles (c'est glauque quand même).

Heureusement pour elle, n'écoutant que son courage, en lui flanquant son poing dans la figure, et usant de ses cordes vocales, hurlant à crever les tympans de tous les serviteurs affolés, elle parvient à faire fuir le sorcier Chernomor la queue entre les jambes (littéralement). Dans la précipitation, il perd son chapeau dont Ludmila découvre l'effet magique par hasard : celui-ci rend invisible son porteur. Alors que Rouslan affronte maintes péripéties, dont un serpent géant, un ours qui parle et une tête sans corps géante, Ludmila use et abuse de son invisibilité, jouant de tours pendables à son prétendant tout moche ainsi que sa fidèle assistante, la sorcière Naïna, capable de se transformer en serpent ailé. Jusqu'à ce qu'ils finissent par la duper et la plonger dans le sommeil. Mais pas assez pour pouvoir assouvir ses désirs. Entre-temps, Rouslan croise la route d'un étrange vieillard finnois qui, éconduit par Naïna, a mis à feu et à sang de nombreux royaumes, allant même jusqu'à user de magie noire sur la belle. Il parvient alors à insuffler un amour insatiable à Naïna envers lui.

Mais la passion dévorante de la belle finit par l'effrayer, l'amant finit par s'enfuir et l'abandonner. De haine, Naïna devient peu à peu vieille fille (quand je disais que c'était le point central du récit), tombe dans le côté maléfique, s'alliant à Chernomor dans leur folle quête commune d'enfin assouvir un amour physique. Car oui, même si Chernomor aime particulièrement les jeunes filles vierges, il est éconduit à chaque fois par les belles. Quelques péripéties plus tard, dont une lutte acharnée de trois jours suspendu à la barbe de Chernomor, sa mort atroce des mains de Pharlaf guidée dans l'ombre par Naïna, puis son improbable résurrection magique, tout se termine finalement bien pour Rouslan qui obtient enfin sa nuit de noce, rétablissant au passage sa puissante virilité mise à mal au début du récit. La morale de l'histoire se résumant donc à dire qu'il vaut mieux assouvir ses désirs charnels plutôt que succomber aux sentiments amoureux.

Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées reprend à peu près fidèlement les grandes lignes de ce conte russe, mais Voronezh Animation, alias Magic Frame Animation, préfère éliminer toute la partie "charnelle" du récit. Ainsi, le studio d'animation propose un récit proche du conte de fée traditionnel et plus politiquement correct que le conte original. Parmi les changements majeurs, Rouslan n'est ainsi plus du tout un Prince guerrier, mais un simple contremaître du Royaume. Sa nature modeste permettant de transformer le récit en aventure initiatique où le jeune homme mérite à la fin de conquérir la belle. Au passage, cela permet de modifier la personnalité des trois rivaux princiers, qui trouvent bien évidemment inadmissible qu'il soit choisi pour prétendant à leur place. Autre changement notoire, le rôle de la sorcière Naïna et du vieillard finnois, ainsi que leur relation, sont modifiés, ce qui permet d'ajouter un joli twist au récit lors de la mort de Rouslan.

Afin d'étoffer le récit, toute la partie de Ludmila est en grande partie revue. La jeune Princesse devient une forte tête qui met en déroute toute la garnison du sorcier Chernomor, tout en ajoutant plusieurs scènes non essentielles avec des Princesses de Royaumes voisins histoire de meubler un peu. Afin d'apporter un peu de tension dramatique, et éviter d'aborder la question de la virginité des Princesses, Magic Frame Animation ajoute un élément magique inédit dans le conte. Chaque fois que Chernomor est éconduit, il transforme la malheureuse prétendante en statue dorée. Le film d'animation s'amuse d'ailleurs beaucoup à rabrouer les Princesses Disney et Dreamworks, puisqu'on y aperçoit des transfuges de Raiponce, Tiana,  Fiona, Eep, Pocahontas, Mulan ou Jasmine par exemple. Une bonne occasion d'y glisser quelques gags, sous la force de clin d'oeil. Enfin, Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées revoit quelque peu les pouvoirs magiques de Chernomor et Naïna, afin d'offrir des antagonistes magiciens capables de transformisme, une fois encore dans un esprit assez disneyen.

Plus haut dans cette analyse, j'évoquais le fait que Voronezh Animation, avait fortement décidé de changer de cap. Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées démontre que le studio d'animation a complètement laissé tomber son ouverture vers le monde de l'occident. Certes, graphiquement parlant, le long métrage se démarque vraiment très peu de la saga The Snow Queen, dont on retrouve beaucoup de codes graphiques similaires. Toutefois, que ce soit dans l'architecture ou les environnements traversés, Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées affiche surtout une ambition russo-centrée, même si elle reste ouverte aux moyen et extrême orient. La Russie ne subit quasiment pas de sanction dans ces pays, qui sont par ailleurs assez friands des contenus audiovisuels russes. Ainsi, même si Rouslan et Ludmila restent des personnages classiques de conte dé fées, ce n'est pas le cas des trois rivaux.

Dans le conte d'Alexandre Pouchkine, Ratmir est issu de l'ancien peuple de nomades des Huns originaires d'Asie centrale, Pharlaf est un membre honorable des Tatars, tandis que Rogdaï est une représentation d'un guerrier Cosaque. Dans le film d'animation, les nations de Ratmir (qui ressemble curieusement à Will Smith) et Pharlaf (prononcé Farlav) y sont inversées, tandis que Rogdaï reste toutefois un cosaque pur et dur. Au-delà de l'aspect burlesque, voire cartoonesque, attaché aux trois personnages, on a un peu de mal à ne pas voir poindre une caricature un peu gênante des trois peuples évoqués à travers eux. Ratmir est une représentation d'un mulsulman prétentieux et frivole, que seuls la beauté et l'enrichissement facile semblent animer, figurant plus ou moins la guerre des prix du pétrole entre la Russie et l'Arabie saoudite. Pharlaf est un asiatique bedonnant, couard, quelque peu stupide et toujours caché sous les jupes de sa mère, ce qui semble figurer la relation détériorée entre la mère-patrie Russe et le Kazakhstan. Rogdaï, c'est l'ukrainien en puissance, froid, vindicatif, manipulateur, dangereux et accessoirement meurtrier du héros russe. Sous couvert de récit initiatique gentillet, cela reste tout de même discutable comme approche narrative pour un film destiné au jeune public.

Au delà de cet aspect culturel un peu douteux, Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées reste dans l'ensemble une oeuvre efficace et, disons-le sans honte, flamboyante à voir. La saga The Snow Queen était déjà une belle vitrine technologique du studio d'animation russe (pardon anglo-chyprien désormais), ce long métrage n'a pas du tout à rougir de la comparaison. C'est beau, varié, très bien animé, même les personnages sont tous de vrais réussites. Le long métrage regorge de nombreux environnements, très variés, qui vont d'une caverne tropicale à un désert brûlant, d'un somptueux château oriental à une lugubre prison souterraine, sans oublier la forêt enchantée regorgeant de multiples dangers. Il est par contre assez regrettable que Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées pompe un peu trop certaines de ses idées aux longs métrages Disney. Du mobilier magique comme La belle et la bête, la même fleur de campanule et l'architecture des villes comme dans Raiponce, des souris qui savent coudre comme dans Cendrillon, un barrage à détruire comme La Reine des neiges II, un serpent hypnotiseur comme Le livre de la jungle, une forêt tropicale qui ressemble à celle de Tarzan, le long métrage va même jusqu'à employer une chanson - fort entraînante certes - qui semble être un ersatz de Je suis ton meilleur ami d'Aladdin. Malgré tout, Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées offre un dépaysement garanti tant les différentes épreuves rencontrées par les personnages sont peu communes dans le monde l'animation occidentale, ce qui permet de lui excuser ses nombreux emprunts. Et si l'on oublie les sous-entendus dissimulés entre les lignes, qui ne sont pas si évidents au premier abord (et sur lesquels on peut accorder le bénéfice du doute), on passe même un très bon moment devant ce long métrage.

Au final, Rouslan et Ludmila, plus qu'un conte de fées est un long métrage plutôt agréable dans son ensemble. Bien qu'il s'adresse en priorité au jeune public et que l'humour manque souvent de finesse, le conte originel est suffisamment solide pour offrir à tous les spectateurs une aventure plutôt palpitante, avec une multitudes de rebondissements souvent inattendus. Je ne sais pas s'il plaira au public occidental, mais preuve en est que Voronezh Animation tente avec ce film de repartir à la conquête du public de Wizart Animation désormais perdu, en brouillant toutes les pistes et se dissimulant sous le nom d'emprunt de Magic Frame Animation, ce qui lui permet sans nul doute d'échapper aux sanctions internationales. Bientôt en France ? Qui sait.

Olivier J.H. Kosinski - 20 septembre 2024

Bande annonce

Social eXperience

La lecture des vidéos directement depuis le site nécessite l'installation des cookies "eXperience" et "Catalogue" ainsi que des cookies tiers "Youtube" et "Vimeo". Conformément à la décision de la CNIL datant du 27 juillet 2016, votre consentement est donc nécessaire pour activer cette fonctionnalité.

J'accepte l'installation
de ces cookies

La voir sur Youtube

3.5