Luck, également intitulé Coup de chance au Québec (titre francophone que je trouve parfaitement choisi), est le premier long métrage d'animation produit par Skydance Animation. Il est également le premier produit exclusivement par la plateforme AppleTV+. Il sort simultanément dans tous les pays du monde le 08 août 2022. Le film ne dispose que d'un unique doublage francophone, réalisé en France.
Sam Greenfield est constamment poursuivie par la malchance depuis son plus jeune âge. Alors qu'elle subit encore un coup du sort, elle récupère par inadvertance une étrange pièce de monnaie que portait un chat noir autour de son cou. Soudain, la chance lui sourit enfin ! Tout du moins jusqu'à ce qu'elle la perde dans la cuvette des toilettes. En quête d'une nouvelle pièce, elle atterrit sur la Terre de la Chance où elle est pourtant loin d'en finir avec la malchance...
Êtes-vous quelque peu en manque de la formule magique "Et si ?" que nous proposait le studio d'animation Pixar jusqu'à tout récemment ? Vous savez, cette petite rengaine qui a longtemps été commune à toutes leurs productions ? Et si les jouets prennent vie ? Et si les monstres cachés sous le lit existaient vraiment ? Et si les bagnoles avaient une conscience ? Et si un rat pouvait cuisinier ? Et si nos émotions avaient une personnalité ? Et si ce qui vous constitue était forgé bien avant votre naissance ? Je pense que vous avez saisi l'idée générale car c'était la marque de fabrique du studio Pixar depuis ses origines. Toutefois, je suppose que vous l'avez remarqué aussi, cette formule autrefois immuable s'est depuis quelques années grandement effritée. Et si je vous disais qu'on peut la retrouver sur la plateforme AppleTV+ dans ce qui constitue leur tout premier film d'animation exclusif ? Un parallèle qui n'est pas si anodin car Luck reprend à sa sauce la célèbre rengaine de Pixar : Et si vous aviez soudain une chance incroyable, la partageriez-vous ou la garderiez-vous pour vous seul ? Comment et pourquoi ce mimétisme ? Car on retrouve derrière le studio Skydance Animation l'un de ses anciens artisans, à savoir un certain John Lasseter. Certains d'entre vous seront peut-être enchantés de le savoir, d'autres chagrinés de l'apprendre, car l'homme avait été accusé de harcèlement sexuel en 2017 et obligé de quitter l'empire Disney dans la foulée. Ce qui avait d'ailleurs affecté la production de Luck, puisqu'Emma Thompson s'était désengagé de l'oeuvre à l'annonce de la nomination de John Lasseter chez Skydance Animation. Je n'ai aucun commentaire supplémentaire à faire à ce sujet, n'en connaissant ni les tenants ni les aboutissements, toutefois, il reste indéniable que John Lasseter a insufflé ses idées dans Luck quand on voit le résultat à l'écran.
Tout, ou presque, dans Luck respire l'esprit originel de Pixar qui suinte par le moindre de ses pores. On y retrouve sa forme d'humour caractéristique, sa dose d'émotion, ses grandes idées générales, un parcours initiatique progressif, un récit sur mesure, ainsi que la relation étonnante de ses deux protagonistes que tout oppose mais qui finissent par devenir des alliers. Seul un unique aspect manque à l'appel : l'enrobage visuel photoréaliste. Skydance Animation n'a clairement pas les mêmes épaules, ni la même ambition et, plus prosaïquement, certainement pas du tout le même budget que son illustre concurrent. Cela ne signifie cependant pas que le film soit désagréable à regarder, bien au contraire. Luck préfère instaurer une ambiance, cherche à forger un univers visuel cohérent et riche, tout en apportant une dimension fantaisiste qui lui convient à merveille. On ne trouve absolument aucune faute de goût entre le monde des hommes et celui de la Terre de la Chance, même si plusieurs environnements rappellent des films Disney. L'architecture du quartier de Sam évoque par exemple celui de Là-haut, de leur côté les énormes machines de la Terre de la Chance font penser à Bienvenue chez les Robinson, tandis que les créatures de la Terre de la Malchance évoquent Monstres & Cie, plus évident encore la liaison lumineuse entre le monde réel et celui de la Chance sont calqués sur Vice-versa. On a même droit à un fugace A113 ! Bref, la filiation avec quelques idées disséminées par John Lasseter sur des films auxquels il a contribué par le passé. Il n'empêche, au-delà du plagiat ou de l'hommage appuyé, Luck s'approprie des codes Pixar pour les faire siens. Ce qui conduit à un univers convaincant et très chatoyant, tout en proposant une première expérience animée de qualité pour le jeune studio Skydance Animation.
Luck propose également une panoplie de personnages tout aussi intéressants qu'utiles à l'intrigue. Aucun d'entre eux n'est à prendre à défaut, chacun a un rôle bien défini, chacun joue un rôle déterminant dans le grand puzzle narratif et chacun brille par sa personnalité. Leurs intéractions sont d'ailleurs l'une des plus grandes réussites de l'oeuvre, particulièrement entre Sam et Bob. Les deux personnages partagent le trait de caractère d'être à la marge de leurs sociétés respectives mais, paradoxalement, s'accommodent assez bien de leurs conditions de vie, malgré les déconvenues. C'est d'ailleurs très inattendu dans un film d'animation, surtout américain, que des protagonistes, dont leur vie n'est vraiment pas facile, trouvent quand même le moyen de toujours positiver. En un sens, Luck est un contrepoint d'une grande majorité des films d'animation Disney où, généralement, on force artificiellement le spectateur à prendre en pitié ses innombrables orphelins. Sam, par exemple, est l'antithèse de Penny : là où l'une est à la limite de faire une dépression, l'autre persévère dans tout ce qu'elle accomplit. Et surtout, moderne et dans l'air du temps, elle accomplit tout sans l'aide de personne car, de toute façon, quasiment tout le monde l'abandonne à son sort sans jamais se préoccuper d'elle. Elle parvient même à dissimuler son mal être jusqu'à ce qu'une pièce vienne bouleverser son destin. Mais, curieusement, elle se lance dans une quête dont la finalité ne la concerne pas directement. On aura rarement vu un personnage aussi altruiste et désintéressé que Sam, qui préfère épargner quelqu'un d'autre des duretés de la vie qu'elle a connues elle-même, plutôt que s'en accaparer pour améliorer sa propre vie. Bob suit à peu près le même cheminement narratif, mais avec un raisonnement inverse, puisqu'ayant choisi de faire cavalier seul plutôt que de continuer à toujours être déçu par les autres. A l'image de la Terre de la Chance et de la Terre de la Malchance, Sam et Bob sont les deux faces d'une pièce qui cherchent à trouver un équilibre. Et Luck répond entièrement à cette problématique de manière très ludique.
En dehors de la maîtrise technique et narrative, Luck compte aussi une bande originale agréable, sans être totalement remarquable, mais qui accompagne délicieusement l'action. Celle-ci est composée par John Debney qui a souvent travaillé dans le monde de l'animation ainsi que dans la fiction pour enfants, particulièrement dans de nombreuses comédies à l'image de Kuzco, l'empereur mégalo, le très barré Sky Kids, le délirant Comme chiens et chats, le succulent Les Looney Tunes passent à l'action ou, plus récemment, Bob l'éponge, le film - Un héros sort de l'eau et L'âge de glace - Les lois de l'univers. Bref, John Debney semble ici totalement dans son élément, se permettant quelques idées assez lumineuses comme ce morceau musical, joué deux fois différemment au début du film qui, dans un premier temps appuie fortement sur la malchance maladive de Sam à accomplir la moindre tâche quotidienne puis, quelques minutes plus tard, avec un tempo légèrement plus rapide, montrant au contraire combien elle semble à l'aise quand la chance lui sourit pour la première fois. Plus étonnant, même si ça reste totalement dans l'esprit du leprechaun irlandais et du lutin écossais, on est irrémédiablement tenté de marquer la cadence quand Sam se met à nettoyer les pièces de chance dans un ballet visuel et musical de très haute volée. Plus amusant encore, Luck introduit de manière totalement incongrue un tube de Madonna au tout début du film, en l'occurrence son célèbre "Lucky Star" de 1983, pour mieux le faire réapparaître de façon audacieuse, logique et astucieuse à un tout autre moment du film. Preuve que les scénaristes savaient où ils allaient avec leur intrigue. Et on se surprend même à ne pas être déstabilisé par ses revirements et changements musicaux en cours de route.
Au final, Luck est une oeuvre très rafraîchissante qui détonne complètement aussi bien de par ses origines singulières que par son intrigue très divertissante. Preuve en est que, parfois, il faut oser sortir des sentiers battus pour aller voir ce que propose la concurrence, car on y trouve parfois de belles trouvailles qui n'ont, de plus, pas vraiment bénéficiée d'une promotion massive. Cantonnée, disons même étriquée, sur la plateforme AppleTV+, en tant que seule oeuvre originale animée (même si la plateforme propose d'autres films d'animation, mais aucun jusque là qui lui appartenait), Luck gagnerait à être bien plus visible qu'il ne l'est aujourd'hui. Alors n'hésitez pas à franchir le pas !
Olivier J.H. Kosinski - 03 février 2023
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Doublage (France - 2022)
Sam Greenfield : Louane
Bob : Cédric Dumond
Babe : Pauline Larrieu
Gerry : Donald Reignoux
Jeff : Xavier Fagnon
Capitaine : Marie-Christine Darah
Rootie : Emmanuel Curtil
Marvin : Jean-Baptiste Anoumon
Hazel : Kaycie Chase
Mme Rivera : Nathalie Homs
Un farfadet : Sébastien Desjours
Voix additionnelles :
- Géraldine Asselin
- Benjamin Bollen
- Jaynelia Coadou
- Diane Dassigny
- Lily Rubens